Publié presque un siècle après sa rédaction, ce Journal en dit plus long sur l’époque que sur le mémorialiste. Alors que les sentiments de Thomas-Louis Tremblay n’émergent qu’en lueurs éphémères, les mœurs militaires et politiques de la société d’alors accaparent l’avant-scène. Tremblay écrit un français misérable, mais l’armée vivait son unilinguisme. Quand Tremblay note que les décorations ornent plutôt les poitrines anglo-canadiennes et glorifient les états-majors plus que « les petits, les crottés, les sans-grade », le constat reflète des convictions répandues. Cela fait la valeur du document : il en dit long même quand il pratique l’autocensure.
Observer l’intérieur de l’armée exige des ajustements. Dans certains cas, c’est soi-même qu’on rappelle à l’ordre. Avant de reprocher à un militaire en permission de fréquenter les Folies-Bergères, peut-être faut-il se demander comment résiste l’équilibre mental de celui qui côtoie l’horreur. Quand, toutefois, un officier fait peu de cas des morts imputables à ses décisions, il n’est plus de nuance qui tienne et Tremblay a le mérite de l’affirmer. Même si « le sang sèche vite en entrant dans l’histoire », un officier demeure comptable des vies fauchées. Quant à la peine de mort imposée aux indisciplinés, elle est appliquée trop fréquemment pour que résiste l’excuse d’un « exemple indispensable ». Tremblay escamote le sujet. À l’inverse, il tient à plusieurs reprises des propos qui rendent la rectitude politique (presque) désirable. « 14 décembre : J’ai mis Hagan à la porte hier. Je n’aime pas la figure de ce sale Boche ». Portugais et Sénégalais auront droit à la même délicatesse. La voix qu’on entend est-elle celle d’un homme ou celle d’une institution et d’une époque ? Document important.