Les aficionados – dont je suis – d’Enki (Enes) Bilal, né à Belgrade en 1951 et habitant Paris, seront ravis d’apprendre sur lui quelques secrets. Dans Ciels d’orage, le journaliste et écrivain Christophe Ono-dit-Biot rencontre le réalisateur, peintre-dessinateur et bédéiste. « Quarante-deux heures [d’entrevues] pour ouvrir la boîte noire d’Enki Bilal, scellée par des années de silence. » L’intervieweur ajoute : « [Bilal] est d’une courtoisie rare, mais ne livre rien de lui, il est une superstar et une énigme ». Ono-dit-Biot a travaillé avec doigté, rigueur et tendresse, comme seul peut le faire un connaisseur de l’œuvre de l’auteur franco-serbe. Le résultat est magique.
Bilal le créateur rompt avec les méthodes classiques du neuvième art. Il préfère des textes dits « off » aux bulles traditionnelles des dialogues. Il travaille en couleurs directes « et non en coloriant a posteriori des dessins faits à l’encre de Chine ». Il dessine ses histoires comme des toiles, à la manière des peintres. Il invente « son » fameux gris – sa marque distinctive – qu’il fabrique avec la cendre de ses cigares.
Bilal le visionnaire aborde des thématiques troublantes, politiques, historiques ou encore écologiques. Dès 1979, Bernard Pivot traite la magnifique bédé Les phalanges de l’Ordre noir – coécrite avec Pierre Christin – comme un roman : « Une œuvre politique très représentative de notre temps cruel et dérisoire ». Avec Partie de chasse en complément, Bilal se hisse au sommet, parmi les grands de la littérature.
Le Serbe apatride dépeint des mondes durs et terriblement réels, de façon parfois prémonitoire ou prophétique, qui sait. « Vous avez prévu avant tout le monde les attentats du 11 septembre, en faisant disparaître les tours du World Trade Center dans votre film Immortel… »
Ono-dit-Biot dévoile les relations de l’auteur avec sa famille, avec son pays d’origine. Il raconte son entrée fracassante dans l’univers des bédéistes. Jamais de complaisance chez Bilal, aucun faux orgueil, plutôt une conscience d’un destin accompli. « Il faut que je réussisse dans ce qui me plaît », s’était-il dit. Ainsi a-t-il fait et nous l’en remercions.