Après l’espace mythique et incertain de L’Olympe des infortunes, Yasmina Khadra nous ramène avec L’équation africaine à une topographie de mappemonde annoncée dès le titre de ce nouveau roman. L’Afrique est au cœur du récit, enveloppée par un drame intime fortement ancré en Europe, auquel elle donne sens et résolution en même temps qu’elle en creuse l’horreur.
Les inconnues de cette équation sont multiples : qu’est-ce qui détermine l’appartenance à un lieu, à un peuple, à une culture ? Un Français peut-il se dire le « frère » de tous les Africains qu’il rencontre ? Peut-il être chez lui à Djibouti plutôt qu’à Paris ? Où se trouve le remède d’une brèche faite au bonheur d’un médecin allemand par le suicide d’une femme adorée ? Pourrait-il se trouver dans le détour d’une attaque de pirates en pleine mer Rouge ? Comment et pourquoi faire de l’humanitaire quand ceux-là mêmes à qui il pourrait profiter n’y voient parfois qu’ingérence et arrogance ? Où trouver une langue de communication efficace entre le Sud et le Nord ? Par quoi remplacer les langues anciennes alourdies du poids d’un passé colonial qui en parasite les messages et rend impossible le dialogue ?
Au-delà de toutes ces questions, le roman de Yasmina Khadra est une ode à une humanité ondoyante, aux identités qui vacillent car soumises à des vies sans garantie contre la tragédie. Le pirate sanguinaire d’aujourd’hui a peut-être été un poète à la sensibilité d’écorché vif et le médecin allemand d’hier est capable de commettre un meurtre pour sauver la vie d’un ami. L’écriture de Yasmina Khadra, qui mêle le roman intime au récit d’aventures, et à laquelle on doit parfois pardonner une emphase importune, est alerte, hâtive, en harmonie avec la précipitation de pensées multiples et contradictoires d’un humain en butte à l’horreur et à la dérision.