Qu’est-ce qui a bien pu mener le Tunisien Mohamed Bouazizi à sacrifier sa vie le 17 décembre 2010 en s’immolant devant la mairie de Sidi Bouzid, devenant ainsi un « mouton grillé, tout noir » ? On connaît aujourd’hui l’histoire. Un jeune chômeur décide de devenir marchand ambulant de fruits et légumes, se voit harcelé par la police qui exige de lui des pots-de-vin, proteste, est giflé par une agente et, pour finir, après s’être vu retirer sa charrette, son gagne-pain, n’est pas reçu par les autorités. Une fois le jeune homme transporté à l’hôpital de Sfax, le président lui-même vient s’épancher de manière hypocrite. Et puis…, ce sont les événements du Printemps arabe… qui donneront naissance au mouvement que l’on sait, lequel trouve aujourd’hui sa continuation chez les Indignés de tous les pays. Car sous la dictature capitaliste, on n’a pas le droit d’être pauvre !
Mais encore : d’où lui vient donc cette pulsion anarchiste ? D’une nécessité ontologique et existentielle. Le court et efficace récit de Tahar Ben Jelloun montre qu’il vient un temps où un humain n’arrive plus à étouffer la révolte devant la cupidité et la rapacité des magnats de la Finance internationale qui volent au mépris de toutes les lois leurs concitoyens. C’est donc aux racines de ce mouvement que remonte l’écrivain : « La pauvreté, le manque, une résignation vague assuraient à sa vie [celle de Mohamed] une tristesse naturelle. Comme son père, il ne se plaignait jamais ». Or justement, c’est la mort de son père qui provoque chez ce jeune homme un cataclysme. Aîné de la famille, il doit désormais la nourrir, ce qu’on lui interdit. Car il se rend vite compte que son diplôme ne lui sera d’aucun secours, ce qui l’amène – acte prémonitoire – à le brûler. Puis voilà que vivant dans sa chair l’humiliation (il lui est impossible, sans argent, de marier Zineb, son amoureuse), le héros, aussi victime et martyr, fait un rêve : son père l’appelle de l’autre côté de la vie, ce que refuse sa mère. Ben Jelloun met ainsi en lumière un aspect bien moins connu de l’origine du feu qui gagne le monde : la révolte venue du deuil du père.