Léon Blum a longtemps incarné la conscience morale de la nation française. Pourtant, il se trouve pratiquement relégué aux oubliettes de l’histoire. En dirigeant les projecteurs sur lui, Philippe Collin contribue à redonner à ce grand homme d’État la place qui lui revient.
Au départ, Léon Blum. Une vie héroïque1 est un balado à succès de Radio France. Pour mener à bien le projet, le producteur Philippe Collin a convié une douzaine d’historiens, d’auteurs et de chercheurs d’horizons divers, tous présents dans le livre qui en est résulté. Collin agit à titre de chef d’orchestre. Il établit les ponts entre les différentes étapes de la vie de Blum et donne largement la parole à ses collaborateurs.
De dandy à politicien socialiste
Léon Blum a dirigé le Front populaire au milieu des années 1930 et a été président du Gouvernement provisoire de la République française, en 1946 et 1947. Juif pas vraiment pratiquant, il naît à Paris en 1872. Sa famille est aisée, sans crouler sous la richesse. Blum fréquente l’École normale supérieure. Il étudie la philosophie, les lettres et le droit. Il occupera quelques fonctions au sein de l’État, mais souhaiterait avant tout être reconnu comme écrivain. Il a l’allure d’un dandy parisien. Selon l’historien Pierre Birnbaum, il s’exprime avec une voix efféminée et est « un peu maniéré ». Il séduit tout le monde et s’adonne surtout à la critique littéraire, dont il fréquente le milieu avec ses amis André Gide et Marcel Proust. Bref, début vingtaine, rien ne laisse présager qu’une carrière politique marquante attend ce petit-bourgeois coquet qui ne déteste pas le luxe.
Puis l’affaire Dreyfus, du nom de ce capitaine accusé d’avoir espionné pour le compte de l’Empire allemand, marque un tournant majeur dans son parcours. Il a une formation de juriste et il veille à ce que la vérité, et non l’antisémitisme, triomphe. Il s’engage donc à fond en faveur d’Alfred Dreyfus. Ce sera la rupture avec des compagnons de route littéraire, à commencer par cette grande figure de l’époque, Maurice Barrès, qui avait laissé sa marque avec des ouvrages comme Les déracinés, ouvrage qui inspirera la droite conservatrice.
Blum tombera en « admiration totale » devant Jean Jaurès. Défenseur de Dreyfus lui aussi, homme à la culture classique immense et aux dons politiques exemplaires, Jaurès fondera le Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) en 1905. Il sera assassiné en 1914, trois jours avant le début de la Première Guerre mondiale, par un étudiant nationaliste qui déteste le pacifisme préconisé par les socialistes.
Avant cet assassinat, Blum fait paraître en 1907 Du mariage, un essai qui, avec sa dimension féministe, détonne pour l’époque. Le livre fait scandale. Même les proches de Blum demeurent médusés. L’auteur prône la liberté sexuelle totale de la femme avant le mariage. « L’extrême droite parlera d’‘œuvre satanique’ – sous-entendu ‘C’est le juif qui vient dissoudre la famille chrétienne’. » Lors de sa réédition 30 ans plus tard, l’ouvrage continue à soulever des polémiques.
Garder la vieille maison
Au 18e Congrès national de la SFIO, qui a lieu à Tours, il s’agit de décider si le socialisme se placera sous la gouverne de Lénine ou non. Dans un discours devenu historique, Blum refuse cette avenue de toutes ses forces au nom de la démocratie et de la liberté. Le parti de Lénine est antidémocratique et élimine ses adversaires. Fidèle à Jaurès, Blum dira « qu’il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison », celle-ci étant la liberté. Beaucoup de divisions politiques surgiront lors de ce congrès qui verra, entre autres, la naissance du Parti communiste français.
Élu député, Blum deviendra immensément populaire avec la politique des congés payés s’étendant à tous les travailleurs. On peine à imaginer aujourd’hui comment cette décision prise par le gouvernement du Front populaire en juin 1936, soit le premier gouvernement à être dirigé par Blum, a changé radicalement la vie du peuple. Les conditions de travail, auparavant, étaient si médiocres que les ouvriers d’usine risquaient de ne plus revoir leurs familles ou ne pas les revoir avant plusieurs années. Il s’agit d’un des plus grands legs politiques de Blum.
Après Buchenwald
En 1932, Blum, comme d’autres, ne prend pas Hitler au sérieux. Il ne fera qu’un temps, croit-il. Tout change en janvier 1933. Juif et socialiste, détesté autant par les nazis que par la droite française et même par les communistes, Blum sera arrêté le 15 septembre 1940. Il a refusé de quitter la France alors qu’il se savait menacé. Il s’était rendu auparavant à Vichy, en juillet 1940, pour critiquer courageusement le gouvernement de Pétain. Il est d’abord détenu en France. De sa cellule, Blum continue d’influencer le Parti socialiste et la Résistance. En mars 1943, à l’âge de 70 ans, il est envoyé au camp de Buchenwald. Il ne connaît pas directement l’horreur du camp lui-même. En tant qu’otage politique, il est emprisonné dans un pavillon situé juste à côté et est tout à fait conscient de ce qui s’y passe. Convaincu qu’il vit ses derniers moments, il rédige une lettre testament dans laquelle on peut lire : « Je récuse la condamnation raciale pour les Allemands aussi bien que pour les Juifs. […] Je me rappelle aussi qu’un matin de printemps, j’ai failli être lynché à coups de talons de bottes, au bord d’un trottoir, par une foule bien française ». Libéré le 4 mai 1945, il ne lui restera que 5 années de politique active. Blum a été président du Gouvernement provisoire de la République française en 1946 et 1947. Il s’occupera, entre autres, de la dette de la France à l’égard des États-Unis et contribuera à mettre sur pied l’UNESCO. Il s’éteint le 30 mars 1950.
Co-fondateur du journal L’Humanité, un temps à la tête du gouvernement du Front populaire, écrivain, féministe avant l’heure, etc., cette figure morale nationale peine malgré tout à se tailler une solide place dans la mémoire collective française. Il est vrai que Blum ne fait pas autant l’unanimité qu’un de Gaulle. Certains se sont demandé, à tort et pour lui nuire, s’il était vraiment Français, et si cet homme à l’allure aristocratique pouvait être un vrai socialiste et près du peuple. Ajoutons à cela un relent d’antisémitisme et on trouve des éléments expliquant pourquoi la mémoire collective éprouve quelques difficultés avec ce grand personnage.
Léon Blum. Une vie héroïque est une formidable introduction à la vie d’un homme qui a marqué l’histoire française dans la première moitié du XXe siècle. Avec ses nombreuses photos d’archives et ses témoignages variés, ce livre est d’une agréable facture et se lit comme un bon roman.
1. Philippe Collin, Léon Blum. Une vie héroïque, Albin Michel, Paris, 2023, 365 p.
EXTRAITS
De quoi est né le socialisme ? Le socialisme est né de la conscience de l’égalité naturelle alors que la société où nous vivons est tout entière fondée sur le privilège.
p. 351
Ce qui fait la noblesse de l’homme, c’est de prévoir, c’est d’espérer, c’est d’anticiper, c’est de travailler à une œuvre qu’il ne contemplera pas achevée et dont il ne profitera pas lui-même.
p. 325
Ces congés payés ne figuraient pas dans le programme initial du Front populaire. C’est une initiative personnelle de Léon Blum, qui fait suite aux quatre semaines de grève qu’a traversée le pays. Les congés payés, c’est le totem de Léon Blum.
p. 171
Les Allemands sont choqués de voir un juif s’en prendre au maréchal. Chez eux, un juif n’élèverait pas la voix contre Hitler !
p. 239
Une partie de notre mémoire en France, mais sans doute dans tous les pays, aime bien les radicalités. Et lui, c’est un homme de l’équilibre démocratique, un social-démocrate. C’est une figure d’apaisement, c’est une figure de conciliation, ce n’est pas une figure de rupture.
p. 357