La feuille de route de l’auteur impressionne. Il est non seulement poète, mais également éditeur et chercheur. Deux de ses ouvrages ont été primés. Ce n’est pas rien. Il offre ici un recueil franchement original. Nicholas Dawson n’est pas un faiseur. L’objet qu’il a élaboré vaut autant par son style que par les prégnantes observations qui s’en dégagent. Avec cette œuvre, il revient sur ses pas pour mieux amorcer un nouveau parcours de vie.
Dans certaines circonstances, la peur et la foi naissent à même le terreau fertile de la souffrance. Qui connaît l’exil éprouve un certain sentiment de détresse. L’exil est un arrachement cruel quand il advient au cœur de l’enfance. Ce fut le cas pour le poète. Il écrit : « je retourne à l’espace qui reste / une entaille depuis l’exil ». Son Chili natal sera évoqué à travers la présentation de trois femmes. Deux appartiennent au passé, il s’agit de la grand-mère maternelle et de la mère. La première est une femme menaçante. La seconde fut toujours bienveillante. La troisième est la sœur aînée de Dawson. L’exil pour ce dernier a moins trait au pays quitté qu’à son enfance révolue. Sans jamais entrer dans les détails de sa vie de famille, le poète présente et commente la dynamique de son petit clan. Du père, nous ne saurons qu’une chose, sa colère. Du frère, il sera dit qu’il « fuit / parmi des hommes bavards / sceptiques ». À leur sujet, l’auteur pratique l’ellipse. Ne restent plus que la grand-mère, qui prend beaucoup de place ; puis, la mère, personnage plutôt effacé, dominé, pliant sous le joug de l’abuela ; enfin, la sœur, grande complice du poète.
Dans la première partie de son recueil, Nicholas Dawson consacre une section à chacune de ces femmes. Dans « Abuela », il trace un portrait saisissant de sa grand-mère. Sa propre peur a conduit l’aïeule à une extrême piété. Pour contrer la menace que font peser sur elle les démons de l’enfer, elle se réfugie dans une foi exacerbée. Son leitmotiv est « somos falibles ». Elle est l’abuela (grand-mère, en espagnol) ; elle n’a de cesse de rappeler la faiblesse de l’être humain : « Son refrain cynique rugit comme une damnation adressée à sa fille, à ses petit·es-enfants, à l’humanité entière : nous sommes faillibles et nous mourrons dans d’atroces souffrances ».
Vient ensuite « Madre », la seconde section. Avec le temps, la foi de la mère s’est altérée : « elle se moque des miracles et du sang de Jésus, elle ne croit qu’aux récits dérisoires, aux lentilles froides et granuleuses ». C’est soir de fête, on célèbre le passage d’une année à la suivante. Elle est mélancolique. Elle boit : « le mousseux lui monte à la tête ». Elle se demande « ce qui a bien pu provoquer un tel maléfice ». Elle souhaite « que la dette, quelle qu’elle soit, ne s’essaime jamais dans le corps de quiconque ». Il est question d’une « peur au ventre devenue corail / excroissance ». On le voit, le spectre de la maladie jette son ombre sur les siens. Enfin, le fils voudrait lui rappeler qu’elle n’est « coupable de rien / de plus que l’amour ».
Dernière section : « Hermana », la sœur. C’est à elle qu’il dédie le recueil, dont l’incipit se lit ainsi : « mon premier souvenir est une prière / habillée à tes côtés ». Évoquant la madre et l’abuela, le poète dit à sa sœur que celles-ci « chuchotent à nos oreilles / des airs d’espérance / que toi seule comprends ».
À mon corps défendant, je résume ici un ouvrage dont l’essentiel se manifeste au-delà de tout récit, l’histoire de ces personnages n’étant pas vraiment racontée, sinon de manière fragmentée, et servant surtout de tremplin à de lumineuses réflexions. Du reste, pour intelligente que soit la méditation du poète, celle-ci est moins intellectuelle que sensible. Elle trouve sa force et sa pertinence dans l’inventivité langagière dont fait montre l’auteur. Comprenons que pour dire la maladie, la peur et la foi, il trouve des mots simples et percutants. Son chant en évitant toute forme d’éloquence s’élève à un haut degré de pensée sensible. Il conviendrait de l’identifier à une forme de prière bien particulière : « comme jadis il arrive que je prie / même athée je demeure croyant ».
Les poèmes de ce recueil sont magnifiques. On sent, on sait qu’ils émanent d’une véritable authenticité. La trajectoire qu’ils dessinent va de la souffrance à l’espérance : « gracieux / faillible / je souris // en attendant que la lumière / nous arrache des larmes de joie ».