Portraits poétiques. Le sous-titre de ce magnifique petit livre est fort bien trouvé. En effet, les onze portraits qu’il renferme empruntent à la poésie non seulement la musicalité du vers, mais également la rêverie et l’évocation propres à la pensée poétique. Le portrait est une image. Ici, l’image est double : l’illustration la donne à voir et les mots également, quoique mentalement. Il y a échange, complémentarité. Le dessin et le poème vont de pair.
Tout cela se lit et se regarde dans le temps de le dire, mais ce temps, qui résistera à en prolonger les délices ? La quatrième de couverture ne ment pas lorsqu’elle annonce qu’on laissera ce livre « sur le coin de la table pour le plaisir de revoir et de relire ». Ce faisant, que découvrira-t-on ?
Les illustrations de Jean-Pierre Gaudreau sont toutes simples. Je songe à son petit dessin d’un chien. Quelques lignes suffisent à cet artiste. On dirait un dessin d’enfant. Or, il faut du savoir-faire pour obtenir le résultat auquel parvient Gaudreau. En effet, des zones qu’on dirait pareilles à des ombres ajoutent quelque profondeur à la page. Celle-ci, par sa composition, par la répartition des éléments qui la composent, est non seulement agréable à regarder, mais elle a surtout le mérite de mettre en valeur la parole poétique de l’autrice. Ses poèmes voient leurs quelques strophes encadrées de manière variée au fil des pages. Les rectangles où elles figurent sont judicieusement travaillés, avec pondération, de manière à ce qu’images physiques et images mentales s’épousent dans une atmosphère de douce rêverie.
Ces portraits ont une dimension qui, en effet, n’est pas sans rappeler l’imaginaire dont les rêves sont porteurs. Les zones ombragées des dessins font écho au brouillage des mémoires qui s’effilochent. La plupart des portraits de ce livre nous entraînent dans le passé. « L’inconnue du traversier » ouvre le bal. Elle se trouve « [s]ur le pont avant / passés les remous noirs de l’âge ». Dans le même poème, « [l]’air salin enveloppe la femme seule / dans un vieux châle de questionnements / sur les aléas de la vieillesse ». Le deuxième portrait s’intitule « L’homme aux casquettes ». De toute évidence, il s’agit à nouveau d’un vieillard : « Vous entrez et sortez du passé / ramassez un bout d’enfance / revenez dans votre assiette / entre deux hésitations de la bouche ». Mine de rien, le portrait ici, sans jamais peser lourdement, ni dans les mots ni dans le dessin, fait voir la triste réalité de ce que d’aucuns appellent le naufrage de la vieillesse. Une autre victime du grand âge se voit dépeinte un peu plus loin dans le livre. Voici une femme égarée. Avec finesse et doigté, en très peu de mots, Monique Juteau nous montre une femme chez qui « les mots s’envolent / en pensées décousues ». Elle établit subtilement un lien entre ces pensées décousues et les vêtements que, sa vie durant, la femme égarée aimait repasser, plier et… raccommoder. Dans cette galerie de portraits, la poète nous propose même un autoportrait. C’est en voyageuse qu’elle se représente. Le Darjeeling Express et le Shatabdi Express sifflent dans sa mémoire. Elle écrit : « Quand je vais / à mi-cuisse du temps / les voyages s’effritent / en un éboulis de lumière ».
Les grands enfants que nous sommes, même dans un âge avancé, liront ce livre un peu comme s’ils se trouvaient confortablement perchés sur les genoux de leur mère. Ils se laisseront bercer par sa voix, tandis que les mots les transporteront dans cette espèce de brouillard lumineux où dansent nos plus aimables rêveries.