Il a eu plusieurs carrières et a écrit dans plusieurs genres, de l’article – pour le magazine Perspectives– au téléroman Jamais deux sans toi, dont le titre est paraphrasé pour cette énorme autobiographie.
Quelle vie bien remplie ! Écrivain, scénariste, dirigeant de haut niveau, consultant attitré et ancien collaborateur de Cité libre dans sa première mouture, Guy Fournier admet être un touche-à-tout, un travailleur passionné et par ailleurs un incorrigible coureur de jupons – mais « avec des principes ». Son récit de lui-même n’est nullement égocentrique car il a l’art de mettre en valeur les qualités de ses partenaires, collègues et compagnes, ce qui est assez rare. Fournier était partout au bon moment et il a fréquenté presque tous les personnages en vue de notre société québécoise, ayant été reporter attitré pour un magazine comme Perspectives (au tirage de plus d’un million d’exemplaires par semaine, joints à différents quotidiens) et scénariste pour Radio-Canada. Il a aussi été producteur de films publicitaires à la fin des années 1960 ou encore le premier président de l’Institut québécois du cinéma (qui allait devenir la SODEC) et le cofondateur du réseau Télévision Quatre-Saisons. Il tutoyait les premiers ministres Trudeau et Lévesque. Et il sera l’instigateur du prix Albert-Tessier, reconnaissant la création au cinéma.
Les inspirations – et les inspiratrices – du délicieux téléroman Jamais deux sans toi sont ici révélées, avec quelques correspondances dans la vie privée de l’auteur. Du point de vue stylistique, on reconnaît chez Guy Fournier le même goût pour l’indiscrétion qu’avait son jumeau Claude Fournier (1931-2023), ce qui était déjà notable dans l’autobiographie de ce frère cinéaste (À force de vivre ; voir Nuit blanche, no 119). Ses révélations à propos des ennuis de Roger Lemelin avec le fisc ou des relations acrimonieuses de son ami Pierre Trudeau avec son épouse Margaret, ou encore avec sa ministre Jeanne Sauvé, seraient dignes d’un téléroman. Ses souvenirs de son passage comme administrateur à la GRC en 1971 sont révélateurs d’un climat de discriminations généralisées envers les femmes et les Autochtones, alors qu’il y « existe aussi un grave climat de suspicion envers les Francophones ».
Aiguillonné par la plume vivante de Pierre Huet (qui laisse toutefois une abondance de sacres dans ce texte), Guy Fournier n’hésite pas à se remémorer ses idées de génie, mais aussi ses fauxpas, ses échecs, ses démons, ses ravages amoureux et, à l’inverse, les trahisons, les pièges et l’ingratitude dont il a été la victime. Longtemps gestionnaire, Guy Fournier raconte comment il est devenu le président d’une société de la Couronne, Radio-Canada, poste de prestige dont personne ne voulait alors, et comment sa chute fut brutale et digne d’une machination perverse échafaudée contre lui. Mais le style et la verve l’emportent car cette énorme autobiographie se lit comme un roman ; même sa liste de remerciements est un florilège de bons mots admirablement bien ficelés. Au fil des 400 pages – on aurait souhaité le double de ce format –,on revit presque tout un siècle d’histoire du Québec à travers ce parcours rétrospectif et si bien rempli. Quelques accords de verbes laissés à l’infinitif ont échappé à la révision linguistique, par exemple dans la discussion de Fournier avec l’ancien premier ministre Trudeau : « Nous n’avons plus jamais parler [sic] de politique canadienne ». Il ne manquerait à la fin qu’un index des noms cités. Et on aimerait lire un jour tous ses écrits restés dans des cartons, dont ses deux adaptations de Maria Chapdelaine pour le cinéma.