Celles et ceux qui s’intéressent à la chanson de tradition orale connaissent Ernest Gagnon pour son ouvrage pionnier, Chansons populaires du Canada, publié en 1865. Certains savent aussi que l’homme de musique habitait la ville de Québec, où il occupait le poste d’organiste attitré de l’église Saint-Jean-Baptiste.
Pour le reste, Gagnon demeure un personnage relativement méconnu. Il a pourtant contribué activement à la vie intellectuelle et patriotique canadienne-française de la deuxième moitié du XIXe siècle. Contemporain d’illustres figures telles qu’Octave Crémazie ou Henri-Raymond Casgrain, il a su intégrer les cercles d’influence de son époque et y insuffler une vision du monde en accord avec de fermes convictions idéologiques conservatrices et ultramontaines. Cet essai a pour but de fournir un éclairage inédit sur le destin d’un individu au parcours hors du commun, un parcours coïncidant avec ce moment de l’histoire où l’élite francophone cherche à se doter d’une culture et d’une littérature nationales.
Respectant une chronologie classique, l’ouvrage propose un portrait exhaustif de la vie, tant personnelle que professionnelle, de Gagnon, un récit allant de l’enfance jusqu’à la vieillesse. Bernard Cimon s’attarde non seulement à son incontournable apport au folklore, mais aussi aux multiples relations que le musicien a entretenues avec certains membres influents du clergé et de la classe politique. L’auteur se penche de la même façon sur les aléas et les événements liés à la carrière de théoricien et de compositeur de Gagnon. Il s’intéresse, entre autres, à son premier séjour outremer visant à parfaire sa formation et, quelques années plus tard, à son insolvable querelle au sujet du chant liturgique avec le musicien d’origine française Antoine Dessane. Plus loin, il est question de ses accomplissements en tant que secrétaire des travaux publics et comme officier de l’Instruction publique, période au cours de laquelle il rédige de nombreux textes historiques, notamment un article sur le château Saint-Louis situé autrefois où se trouve actuellement le Château Frontenac et un ouvrage sur Louis Joliet, explorateur du Mississippi.
Dans le but d’illustrer son propos le plus justement possible, Cimon fait appel à une quantité importante de lettres et d’extraits de journaux. Et très souvent, plutôt que d’être paraphrasés, ceux-ci sont présentés dans leur intégralité. Un des attraits les plus probants de ce livre concerne ainsi sa qualité et sa rigueur documentaires. On doit à cet égard saluer le travail accompli par Madeleine Gagnon, qui a collaboré sur le plan de la recherche et du dépouillement des documents d’archives.
Nul doute, il s’agit d’un ouvrage qui plaira aux lectrices et aux lecteurs souhaitant approfondir leurs connaissances de la vie culturelle du Québec à une époque, pas si lointaine, où tout était encore à construire.