Longtemps, l’autrice a traîné comme un boulet la mention « assez bien » reçue quand elle passa son bac. Perçue comme la proclamation d’une médiocrité intrinsèque, la jeune fille, qui rêvait de gloire et de reconnaissance littéraire, n’aura de cesse, sa vie professionnelle durant, de vouloir se débarrasser de cette étiquette « infamante ». Son essai résume le parcours qu’elle a suivi pour s’en affranchir.
Sa méthode ? Se lancer à corps perdu dans la fréquentation d’œuvres et d’auteurs réputés difficiles. À ses yeux, cela démontrait qu’elle était capable de saisir les théories les plus absconses et la dédouanait d’un sentiment ressenti comme une infériorité intellectuelle. « L’abstraction était pour moi synonyme de valeur. » « Pas étonnant que je me sois infligé des sujets ésotériques et me sois enchaînée à des groupes de lecture hermétiques », confesse-t‑elle.
Son regard hypercritique sur elle-même se répercutait sur le jugement qu’elle portait sur autrui : « Le mépris envers quelqu’un qu’on ne juge pas assez bon, s’ancre dans la relation qu’on entretient avec soi-même, avec l’idée de réputation. Sans doute ne jugerais-je pas le manque de réussite de quelqu’un d’autre si je n’étais moi-même angoissée par ma propre réussite ».
Alors, comment s’y prendre pour cerner nos semblables indépendamment de leurs réalisations, les plus glorieuses comme les plus discrètes ? En s’appuyant sur un impressionnant corpus philosophique et littéraire où figurent, entre autres, Aristote, Marc-Aurèle, Montaigne, Schopenhauer, Nietzsche, Wittgenstein et, du côté des romanciers, Tolstoï, Virginia Wolf, George Eliot, Orwell, Tchekov et Gontcharov, Marina van Zuylan en tire les arguments qui la réconcilient avec le concept de vie « assez bonne », de juste milieu.
Elle ajoutera : « J’éprouve une [grande] reconnaissance envers les poètes, les romanciers ou les dramaturges qui ont célébré une autre sorte de présence [au monde] en mode mineur », la réconciliant ici avec elle-même. « La vie assez bonne, ajoute-t‑elle, n’est pas tant l’affaire d’ambitions déchues ou de compromis rebutants qu’une volonté de regarder les autres différemment, de prêter d’avantage attention à ce que cachent les réussites fracassantes. »
La philosophie de ses mentors l’a également réconciliée avec le « assez bien » du baccalauréat. Leur enseignement qui propose de troquer l’idéal contre le réel l’a « soulagée de [son] penchant pour la pompeuse excellence ». Au bout du compte, Éloge des vertus minuscules se présente comme une réflexion philosophique libératrice sur la notion de médiocrité vue comme un juste milieu et comme une sagesse populaire dont la finalité est de reconnaître que le processus compte plus que le résultat et le chemin, plus que la destination.