Rigueur, collaboration, imagination et talent, facteurs qui ont conduit les trois autrices de ce recueil à un résultat remarquable, un roman de nouvelles. Vingt-et-une fictions brèves, comme des nouvelles, mais qui se répondent l’une l’autre par les personnages et qui se réfèrent à un lieu unique, la Pointe-aux-Anglais, au Bic.
Les contraintes que se sont fixées les autrices – espace, variété de pronoms de narration et retour de personnages, puis relecture et réécriture en commun – confèrent une grande unité à l’ensemble, y compris pour ce qui est du style, au point qu’il est difficile, à moins de se reporter à la table des matières, de reconnaître la plume de chacune. D’où l’appellation roman de nouvelles qu’attribuent les autrices à leur création collective.
La Pointe-aux-Anglais, avec ses îles – aux Amours, du Massacre, Brûlée –, ses grottes, ses marées d’automne et d’été, ses berges, ensoleillées ou sombres, ses cabanes pour la pêche et ses rochers, offre un décor propice à des scènes ou à des réminiscences des plus extravagantes. D’entrée de jeu, place au désespoir de Gaëlle, qui a confié aux flots landau, vêtements et jouets du bébé dont elle vient d’accoucher. Qu’est-il arrivé au nouveau-né ? Plus loin dans le recueil, « Water Lili » nous apportera quelques réponses. Et que sait-on de ce monsieur riche qui fait transporter son piano sur la grève, paie une pianiste et sa robe de gala pour lui jouer pendant toute une nuit Vexations, de Satie ? D’autres récits feront écho à cette scène troublante. Plus légère, « L’art de plier ses peines d’amour » fait sourire par son inventivité. Alors que la narratrice s’adonne à l’origami, elle s’adresse à un tu en voie de devenir un éléphant de papier qui sera enfermé dans un pot Mason avant d’être jeté à la mer. Là où le thème de l’amour est présent, c’est pour en suggérer la précarité, après l’effet de bascule quand on tombe amoureux.
Le lecteur est vite raccroché après les premières nouvelles, qui auraient pu le laisser baba. La folie qui côtoie la poésie comme le rêve et les phantasmes de mort et de sang qui se déploient dans des scènes surréalistes titillent l’imagination. Une langue riche d’images originales contribue de façon significative à la qualité littéraire de l’œuvre.