Je ne voulais prendre connaissance d’aucune critique avant de me faire ma propre idée sur le plus récent livre de l’auteur. J’ai presque réussi à ignorer les drapeaux négatifs qui surgissaient ici et là.
Fils de famille bourgeoise, noceur, satirique, cabotin, détestable et un peu con (c’est lui qui l’affirme), le moins que l’on puisse dire est que l’auteur de 99 francs (un million d’exemplaires vendus) a le sens de la formule percutante. Avoir travaillé pendant dix ans dans la publicité (son « seul crime contre l’humanité ») laisse des traces. Il l’avoue d’emblée : écrire doit bousculer, sinon à quoi bon. Maître de l’autodérision, il est « passé de la catégorie du romancier mondain à celle de l’écrivain pestiféré ». Qu’on le déteste, qu’on le méprise, il n’en a rien à foutre. Cependant, et c’est l’événement déclencheur à l’écriture de ce livre, que soit venu chez lui en pleine nuit un groupe d’activistes peinturer sur un mur de sa maison Ici vit un violeur, alors celui qui ne se prend pas trop au sérieux ne rit plus. Qui rirait ? OK, il a signé en 2013 le Manifeste des 343 salauds (clin d’œil au Manifeste des 343, datant de 1971, en faveur de la légalisation de l’avortement) contre la pénalisation des clients des prostituées. Beigbeder convient que ça se discute et que ces clients dépensent bêtement leur argent. Méritait-il qu’on vienne s’attaquer à sa maison pour autant ? Ainsi s’ouvre la première partie de son livre. Il n’attirera sans doute pas la sympathie en écrivant que lui aussi est une victime, comme bien des garçons l’ont été à l’école. Il fut lui-même tabassé par un prêtre. Il l’écrit pour souligner que cet événement l’a amené à comprendre, et non à rabaisser, la souffrance des femmes.
La deuxième partie est consacrée à sa longue consommation de cocaïne, dont il est parvenu à se débarrasser. Est-ce à cause d’elle qu’il a commis tant de frasques dans le passé et fait autant de déclarations blessantes ? Beigbeder se dit que, si son livre peut détourner quelques jeunes de la consommation de cette drogue, ce sera toujours ça de pris.
Puis viennent deux parties que j’ai personnellement trouvées moins intéressantes : les deux concernent deux brèves cures, une chez les moines pour en finir avec la coke, une autre dans l’armée pour arrêter de boire. Finalement, il confesse que s’il est attiré par ces endroits, c’est parce qu’il est au fond un être paradoxal : « [M]on libertarisme hédoniste est en permanence contredit par ma nostalgie d’un ordre que je n’ai jamais connu […] l’homme a besoin de structure pour éviter de se perdre ».
La pièce de résistance, si on peut l’appeler ainsi, demeure la dernière partie, intitulée « Un désir effrayant ». C’est sans doute celle-là qui lui a attiré le plus de critiques. Il n’y va pas par quatre chemins. Sa thèse : l’homme, hétérosexuel ou homosexuel (ce dernier l’aurait plus facile, selon l’auteur, qui regrette de ne pas l’être !) ne pense qu’à… baiser. Il a beau adhérer au mouvement #MeToo, il se porte à la défense de la drague pour tout le monde. Lui qui a milité pour l’allongement du congé de paternité « refuse d’être un enfoiré a priori », tout en reconnaissant qu’il peut parfois l’être a posteriori.
Parfois Beigbeder réussit à me faire rire avec ses formules, parfois il me décourage par certains de ses propos. Il demeure un pessimiste qui se soigne par l’humour et le cynisme. Les phrases finales de son livre sont glaçantes de lucidité apocalyptique.