On a beaucoup dit qu’il s’agit d’un livre sur la mémoire et les souvenirs. En effet, c’est à partir de souvenirs que sa mère lui a maintes fois racontés et de ses propres réminiscences que l’autrice trace un portrait sans complaisance de celle qui fut applaudie par le milieu du spectacle à titre d’attachée de presse culturelle des plus grandes vedettes québécoises de la chanson, Francine Chaloult, née Lévesque.
La narratrice fait ressortir les traits de personnalité de celle dont le comportement dans la vie privée l’a fortement marquée.
Elle commence par rappeler les souvenirs fondateurs de sa mère, ceux d’une enfance privilégiée dans la grande maison blanche à Saint-Félicien, où le docteur Lévesque, son père, recevait ses patients, un père aimé et aimant compensant pour une mère distante et sévère, ceux d’une fratrie dans laquelle exercer son droit d’aînesse et d’une formation au pensionnat des Ursulines. Souvenirs marquants d’une éducation bourgeoise assombrie cependant par deux drames : la mort de la petite sœur de quatre ans, Lucie, après avoir avalé des bonbons colorés pigés dans le bureau du papa médecin et l’accident fatal de ce dernier par une nuit de tempête, alors qu’il rentrait d’un accouchement. Malgré tout, départ gagnant dans la vie plutôt que nostalgie.
L’autrice met en évidence les traits qui associent sa mère à la race des dominants. Au dire de sa fille, Francine Chaloult (du nom de son premier mari) manifestait une aversion à l’égard des malheureux et désespérés de toute sorte, jugeant qu’ils s’écoutaient trop, et taxait les gens modestes ou trop prudents d’ennuyeux qui se prenaient trop au sérieux. Chez les Chaloult-Germain, on fait la fête. La maison est toujours pleine. On boit du champagne, on mange des petits fours, on refait le monde au son des chanteurs québécois. Avec du recul, Rafaële Germain voit en ses parents « une adolescente capricieuse et un enfant gâté qui avaient un projet unique et commun : filer tout droit vers un bonheur de chaque instant, en pulvérisant tous les obstacles sur leur passage ». Aussi, quand la maladie frappe à la porte, cancer du cerveau chez le père Georges-Hébert Germain d’abord, puis maladie d’Alzheimer chez sa conjointe, on nie l’évidence, c’est le déni total. Pareil malheur ne peut leur tomber dessus.
Rafaële Germain raconte avoir hérité de la conception de la liberté de sa mère, une liberté vers l’extérieur, et avoir eu du mal à cesser de fuir dans l’alcool qui la menait vers la déchéance. Malgré tout, ce portrait sombre de personnages par ailleurs encensés est traversé d’un souffle de tendresse et servi par une qualité d’écriture incontestable.