Andréa Werner est spécialiste des lieder romantiques et professeure au Conservatoire de Montréal. Elle doit dorénavant composer avec la « débâcle de Leipzig », moment clé de sa carrière artistique où une laryngite fulgurante a colonisé sa trachée en plein concert.
Loin des regards inquisiteurs des universitaires, elle se terre à la campagne et laboure le peu de souvenirs qu’il lui reste. Avoir perdu la voix devient le parfait prétexte pour retracer sa vie vouée à la musique, une vie entière tapie dans l’ombre des compositeurs que même les feux de la rampe ne parviennent pas à illuminer complètement. En perpétuelle détention parmi les partitions, Andréa fantasme une autre vie, loin des eaux pétillantes et du train-train tranquille mais instable des musiciens. L’amour n’a jamais pu s’ancrer, telle la pique du violoncelle, dans sa vie pour y laisser se jouer la mélodie heureuse d’une vie à deux. Entre un amant à la dérive et de nombreux concerts qui éloignent les corps, les retrouvailles demeurent rares. Ces rendez-vous circonstanciels deviennent une échappatoire pour tenter d’oublier un temps sa condition : « Je m’étais dit que ce devait être cela, désirer quelqu’un, alors que, peut-être, je tombais amoureuse de l’état de suspension des obligations ordinaires, et plus précisément de l’oubli de ma vocation musicale, à la fois si pesante et si inaccessible […] ».
Cette voie musicale, elle la doit à sa belle-mère, Madame Werner, sorte de force tranquille qui la fera persévérer dans l’univers clos du chant classique. Une belle-mère taciturne qui trouve là, à travers ce monde de notes et de silences, un moyen aisé de s’exprimer : « La musique ne m’avait pas été imposée, mais elle s’était révélée notre lien le plus stable ». Madame Werner revient donc comme un thème, un leitmotiv constitué de souvenirs qui rythment la narration. Et l’isolement volontaire dans une maison de campagne est le point d’orgue de cette existence aux exigences absolues, le moment suspendu avant le grand retour à la réalité.
Gabrielle Chevarier signe ici un premier roman court et puissant. Chaque mot s’accorde magnifiquement à ce drame contemporain. Elle connaît son sujet et ponctue l’histoire de nombreuses pièces musicales qui deviennent la trame idéale pour accompagner notre expérience de lecture. Madame Werner est digne de la Ständchen (sérénade) D. 957 de Schubert et on espère sincèrement que ce livre ne sera pas son ultime !