Une histoire qui montre la difficulté, pour un écrivain venu d’ailleurs, de créer des liens solides avec la population d’une communauté isolée de pêcheurs terre-neuviens.
La lecture du livre de Farley Mowat m’a plongé dans la perplexité. D’un côté, je dirais que ce récit soulève un tas de questions, sur plusieurs plans, et que cela est bon pour la santé des neurones. D’un autre côté, il me semble que le message de l’auteur a perdu de sa pertinence aujourd’hui, alors que la diffusion des connaissances en écologie et l’expérience collective mettent en lumière les causes profondes du déclin de la biodiversité. Dans sa préface, Louis Hamelin a bien raison de dire que Farley Mowat est un formidable conteur. Hamelin laisse entendre que l’on peut très bien lire ce récit d’événements vécus comme un roman. J’ajouterais qu’il faut le lire comme un roman pour vraiment l’apprécier.
En 1967, après un long voyage, Farley Mowat revient à la maison où il vit depuis 1962 avec son épouse Claire, dans la municipalité terre-neuvienne de Burgeo. En janvier de cette année-là, à peine deux semaines après son arrivée, une baleine se retrouve malgré elle prisonnière de l’étang marin où elle s’est engouffrée, probablement en poursuivant un banc de harengs. À la plus grande stupéfaction de l’écrivain, un bon nombre d’hommes de Burgeo, plutôt que de s’émerveiller de voir de près le rorqual, se mettent à le tourmenter en le chargeant avec leurs embarcations propulsées par de puissants moteurs hors-bords et, pour comble, à le cribler de balles de leurs carabines de gros calibre. Avec un petit nombre d’alliés locaux, Mowat va remuer ciel et terre dans le but de sauver la baleine.
Avant d’en arriver au récit concernant précisément les événements entourant la présence de la baleine dans l’étang, Mowat prend soin de dire son attachement à ce coin de pays et la relation d’amitié qu’il entretient avec plusieurs de ses résidents. Dans quelques chapitres qui occupent plus du tiers du livre, il s’emploie aussi, et surtout, à exposer comment les populations de baleines de tous les océans de la planète ont été victimes d’une surexploitation menant à leur quasi-extinction aujourd’hui. Si cette première partie, truffée d’anecdotes et de témoignages, est déjà de nature à soutenir l’intérêt, la narration devient carrément captivante par la suite. Le titre du livre recèle une certaine ambiguïté et peut tout aussi bien évoquer une menace non exécutée. Alors, de jour en jour, on espère avec l’écrivain qu’il arrivera à sauver la baleine, qu’un moyen sera trouvé pour lui rendre sa liberté.
Mort à la baleine n’a rien perdu de sa valeur littéraire, mais le problème réside dans le fait que l’éditeur qualifie Farley Mowat d’écologiste. L’écrivain éprouve un sentiment qui va au-delà de l’admiration pour les grands mammifères marins, et on peut le comprendre. Mais l’écologie est une science qui demande davantage de recul et de mise en relation des éléments du tableau. Mowat se désole du dépérissement de certaines espèces marines dû à la bêtise et à la cupidité des humains. Mais il néglige de tenir compte de l’histoire et des conditions d’existence des résidents de Burgeo. L’attitude de l’écrivain fait penser à ces gens qui s’opposent à l’abattage de cerfs en surnombre dans un parc urbain, alors qu’il serait plus important de se mobiliser pour stopper notre mode de développement qui détruit les habitats et menace la biodiversité dans son ensemble. Enfin, Farley Mowat manque de discernement en faisant l’éloge de la Sea Shepherd Conservation Society, une organisation détestable aux yeux des populations attachées à la chasse au phoque dans l’Arctique canadien et dans le golfe du Saint-Laurent.