Partir pour éviter les bombes, partir pour réaliser son rêve vers l’inconnu, malgré le déchirement, partir pour faire le point. Maints départs ont jalonné la vie de Catherine Dunleavy, personnage du roman biographique narré à la troisième personne, mais dont le point de vue dominant est celui de l’héroïne.
Ce qui donne une impression d’autobiographie. Le récit avance au gré des souvenirs, sans souci de chronologie.
Née en Angleterre, Catherine vit en symbiose avec sa mère célibataire, Emily, marxiste engagée, admiratrice de Rosa Luxembourg, dont elle transmet la mémoire à sa fille. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, sous la recommandation du gouvernement anglais, les enfants de Londres sont conduits à la campagne. Premier départ pour Catherine, séparée de sa mère. La fillette a neuf ans et s’intègre sans difficulté dans la famille Dunlop. En juillet 1944, c’est une adolescente qui rentrera à Poplar, en banlieue de Londres. Pour en repartir en 1956. Malgré son attachement à Emily, une publicité l’incite à partir pour New York. Seule. Pendant la traversée, elle fait des rencontres qui l’amènent à opter plutôt pour Montréal, où elle débarque en août 1956. Là, c’est encore le hasard qui la fait croiser le chemin d’Élias Dubreuil, aussitôt attiré par la jeune femme désireuse d’apprendre le français, de se faire une place. Cette rencontre orientera le reste de sa vie.
Une vie sans heurts en apparence, une fois que Catherine a appris le français, a été accueillie, quoique athée, dans la famille Dubreuil, catholique. Elle fait vie commune avec Élias sans être mariée et ne souhaite pas avoir d’enfant, contrairement à son amoureux et à la mentalité de l’époque. Elle travaille dans une école anglophone comme secrétaire. Sans partager la passion de son conjoint pour le base-ball et l’équipe des Expos, elle l’accompagne aux matchs, se demandant comment Élias y trouve son bonheur.
On suppose des remous, mais la narration les passe sous silence, si ce n’est pour signaler en passant que le couple traîne bien des conflits et que Catherine a déserté le foyer à trois reprises, au grand désarroi d’Élias, sans prévenir ni s’expliquer à son retour. Le narrateur la montre cette fois où elle est restée enfermée pendant trois jours dans une chambre d’hôtel : « Le 10 octobre 1970, […] Pierre Laporte se fait enlever devant sa demeure […] et Catherine pleure de ne pas avoir été à la hauteur des rêves qui ont été les siens ». Élias, lui, est dépeint comme un homme amoureux et prévenant, au bonheur simple. La fin du roman, où son point de vue succède à celui de Catherine, nous le fait voir complètement perdu en l’absence de sa Catherine.
Avec retenue, dans une langue fluide, Clara Lagacé raconte le parcours d’une jeune femme qui a choisi de s’expatrier sans trop dévoiler son monde intérieur, à l’instar de Catherine, qui a sans doute fait la paix avec la réalité sans faire de bruit.