Le prix Hervé-Foulon ramène annuellement dans l’actualité littéraire l’un des nombreux romans oubliés ou restés dans l’ombre, pour en souligner l’intérêt et nous inviter à le (re)lire.
Pour 2022, le jury formé de Marie-Andrée Lamontagne, Billy Robinson, Martine Desjardins, Lise Bissonnette et James Hyndman a retenu La bête rouge de l’écrivaine abitibienne, connue surtout pour son théâtre.
Michel-Martial Saint-Laurent, écrivain reconnu pour ses nouvelles, a été obsédé par le besoin d’écrire un roman. À la recherche d’un sujet, il s’est laissé convaincre par son ami Théo de s’inspirer du destin singulier du Métis Aldé Letendre, fils d’un Irlandais et d’une Algonquine. Investi corps et âme dans son projet, l’écrivain s’est vu déraper, au point qu’il n’a pu se rendre au bout de son manuscrit. Cinq ans ont passé avant qu’il ne puisse s’y remettre, le temps de se retrouver.
Un roman dans le roman, une mise en abyme où deux récits en arrivent à s’interpeller. Le récit intérieur se rapporte à Aldé, alors que, dans le récit enchâssant, l’écrivain Saint-Laurent narre ce qui se passe chez lui pendant qu’il se consacre à l’histoire du Métis. Racontant l’histoire d’Aldé, l’écrivain se sent précipité dans le monde de son sujet et sent se réveiller le monstre caché en lui depuis trente ans. Car l’histoire d’Aldé, c’est celle du parcours tortueux d’un être habité par la colère et le désir de vengeance. Issu d’un milieu où l’on pratique une force brute, Aldé, tête rousse au milieu de têtes noires, honni parce que trop blanc, est chassé par sa famille une nuit de Noël. On l’accuse de trahison. Une famille aux personnages plus grands que nature, au langage cru et à la morale toute claniste. Un univers glauque s’il en est, où éclatent des scènes grandiloquentes atteignant une dimension mythique, comme celle où l’on fait serment de confier à la jeune Ikwess, que tous les mâles de la famille convoitent, la renaissance de la nation et la reconquête du territoire algonquin.
Quant à l’écrivain, c’est la personnalité même de son sujet qui le bouleverse. Le regard narquois d’Aldé l’indispose. Il se demande si le Métis n’est pas en train de le rouler dans la farine. Il se met à douter de lui, à s’imaginer qu’il séduit sa femme. Il hallucine. Et la cruauté dont il avait déjà été capable, ses crimes passés remontent dans ses veines jusqu’à ce qu’il explose.
La bête rouge s’avère un roman non linéaire complexe par les intrigues déployées, les comportements extrêmes, et ce qui les motive : vengeance, jalousie, inceste, trahison, cruauté, etc. Sans compter un espace romanesque qui rappelle, en adéquation avec l’action, la question toujours d’actualité des territoires autochtones spoliés par les Blancs.