Voici la dix-septième publication de l’auteur, qui a déjà produit depuis 1985 sept recueils de poésie et neuf romans et nouvelles. Il s’agit d’une sorte de journal tenu par le narrateur Paul Landry, qui retrace quelques pans de sa carrière somme toute très ordinaire et peu enthousiasmante de professeur de littérature dans un cégep de Montréal.
Il a toujours épaulé son frère Louis, qui travaille dans un atelier de moulage. Survient dans la vie des deux hommes leur père Wilfrid, absent depuis longtemps de la cellule familiale. C’est un ex-tenancier d’alambic qui a fait des séjours en prison et qui est aujourd’hui revenu dans le droit chemin : grand bonimenteur, il occupe un poste de vendeur d’automobiles chez un concessionnaire, où son comportement suscite le rire de ses confrères.
Peu de personnages animent le récit. Au collège, Paul n’a de contacts qu’avec deux collègues : Gilbert Morin, bouillonnant professeur d’histoire, et Joseph Khouri, son « roc », son « vieillard préféré », avec qui il aime écouter de la musique en buvant jusqu’à « sept bouteilles à deux ». Dans ce milieu familial et professionnel restreint circulent aussi Manon, l’épouse effacée de Louis, et leur fillette de cinq ans, de même que le cégépien Étienne Hamelin, que l’influence de Paul amènera à choisir des études de littérature à l’université. Le texte convoque aussi, à quelques brèves reprises, le sociologue Guy Rocher, qui est, avec l’artiste lyrique Kathleen Ferrier, l’autre personnage non fictif du roman.
Si le courant ne passe pas du tout entre Wilfrid et son fils Paul, maintenant dans la trentaine, l’aîné, Louis, à 44 ans, est au contraire « subjugué » par les récits de ce père prétentieux, qui lui raconte notamment la cabale qu’il a menée par vengeance contre l’avocat-ministre Jules Bernard, de l’Union nationale, lors des élections provinciales de 1969. Il accepte d’ailleurs l’aide financière de son paternel, qui lui offre de terminer ses études collégiales. Pour son exposé oral d’histoire en fin de session, il choisit même, contre l’avis de son frère, de parler de cette cabale qui, au dire du responsable, a fait basculer la société québécoise dans la Révolution tranquille : sans cette opération, « le Québec ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui », prétend Wilfrid en soulignant « son rôle crucial » dans cette affaire ; c’est « une chose qui a changé le portrait du Québec et […] que personne ne sait ». Paul ne réussit pas à convaincre le nouvel étudiant de ce « délire » : « Toute sa vie », lui dit-il, cet escroc « ne s’est soucié que de lui-même ».
Sobrement écrit, sans coup de force narratif, Cabale se présente en trois parties rassemblant trente courts chapitres, dont les intitulés, inscrits entre guillemets, sont des extraits du texte qui suit. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un « roman prenant, percutant », comme l’écrit l’éditeur en quatrième de couverture, mais on y considère de façon peu banale le rôle d’un père de famille : ce « n’est pas d’apprendre à son fils à se raser le menton », estime Paul, « c’est de s’y intéresser, d’avoir des attentes […]. Un père sans attentes est un père incompétent ».
Cabale rappelle un roman précédent de l’auteur, Le feu de mon père (2014), qui lui a valu une critique élogieuse et quelques prix et distinctions littéraires.