L’auteur a rapidement donné suite au récit de l’arrivée en France de ses grands-parents, survivants du génocide arménien. En 1947, à leur grand regret, les Manoukian voient voguer vers l’Arménie soviétique leur meilleur ami Agop, qui cède aux appels funestes de Staline et que rien ni personne ne peut retenir.
Dans son roman précédent, L’oiseau bleu d’Erzeroum, Ian Manook, pseudonyme du Français Patrick Manoukian, racontait les horreurs du massacre, l’exil, puis la vie plus tranquille à Meudon de Haïgaz et Araxie Manoukian, en compagnie de leurs amis Agop et Assina Tarpinian (Nuit blanche, no 164).
L’écrivain reprend le fil de leurs fascinantes histoires dans Le chant d’Haïganouch, celle-ci étant la petite sœur aveugle d’Araxie. Enfants, elles avaient été vendues comme esclaves en Syrie, puis la vie les avait séparées. Si l’aînée avait connu un heureux sort en France, la benjamine avait quant à elle été déportée en Russie. Elle résidera en premier à Moscou, puis s’installera avec les siens sur les berges du lac Baïkal, en Sibérie.
Dans ce deuxième tome, qui commence à la fin des années 1940, on croise tout d’abord Staline, lequel veut repeupler son empire décimé par la guerre et invite à revenir dans leur pays les survivants du génocide de 1915. « Tous les Arméniens du monde sont les bienvenus en URSS. » On dit qu’entre 1946 et 1948, environ 150 000 membres de la diaspora auraient répondu à l’appel. Il est facile de deviner que le retour d’Agop Tarpinian dans sa mère-patrie ne sera ni simple ni des plus heureux.
À son départ de Marseille vers l’Arménie, Agop s’était vu confier l’impossible mandat d’y retrouver la belle-sœur de son ami : « C’est Tertchounian ! hurle Haïgaz. Le nom d’Haïganouch en URSS, c’est Tertchounian, elle est poète ! » À quoi l’optimiste Agop avait répondu : « Si elle est vivante, je la retrouverai ».
Les années passent, années de fer, années de plomb autant pour Agop, qui comprendra trop tard son erreur, que pour Haïganouch, éventuellement déportée dans un goulag. La vie ne fera pas de cadeau à l’artiste, qui réussira malgré tout à devenir une grande pianiste. « Le conservatoire est devenu son chez-elle, avec son mari, son appartement et son piano. » La musicienne garde l’espoir de retrouver vivants son fils Assadour, rapidement disparu dans la tourmente, ainsi que sa sœur Araxie, dont elle n’a pas de nouvelles depuis leur séparation.
Le lecteur croise tout au long de l’histoire des personnages de l’Histoire. En plus de Staline, il y a Khrouchtchev et le cruel Beria. Côté français, on retrouve les Coty, Mitterrand et le ministre des Affaires étrangères Christian Pineau, sympathique à la cause du rapatriement de ses compatriotes exilés à Erevan depuis plus de dix ans. « Nous sommes français, nous sommes retenus ici contre notre gré. […] Nous vivons ici comme des prisonniers. » Qui rentrera à Meudon ? Et quand ?
Manook n’a jamais craint les revirements incongrus, ni même les entourloupettes bizarres dans ses récits, et son dernier opus suit la règle. On peut penser que la saga arménienne ne sera terminée que lorsque tous les personnages seront revenus en France. En est-il déjà à écrire le dernier tome de sa trilogie ?