À peine apprenait-on, et l’on s’en réjouissait, la sortie d’un nouveau livre de l’auteur, que ce dernier tirait sa révérence de manière bien discrète.
Tout aussi discrète, la mort traverse le recueil de Christian Bobin, mais c’est avant tout pour célébrer la vie et nous rappeler l’importance de chaque instant, les deux actions étant intimement liées dans l’œuvre de Bobin : « Je roulais sur les routes du Morvan quand je vis dans le rétroviseur ma vie doublée. Ma mort aussi. Autre chose commençait. Je me souvenais de la fin du monde et de qui l’avait amenée. C’était il y a longtemps ».
Le muguet rouge s’offre au lecteur comme une plongée dans les souvenirs de Bobin, souvenirs de famille comme de rêves éveillés, la petite fleur aux clochettes étant ici associée à la renaissance du printemps, au bonheur retrouvé. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur un rêve du père qui lui remet deux brins de muguet rouge et l’envoie voir un membre oublié de sa famille. Réminiscences d’hier et jaillissements du présent ponctuent l’avancée du poète, lequel tantôt s’étonne encore de la beauté du monde qui l’entoure et tantôt se rebelle devant le consumérisme effréné d’une société aveugle à ces mêmes beautés. Certains de ses élans rappellent par moments René Char :
Un monde enténébré par ses lumières.
Ils courent pour fuir la tempête que leur course engendre.
Opinions et discours sont des fientes chaudes sur la paille électronique.
Cette dernière traversée (le savait-il au moment de l’écriture ?) est aussi l’occasion de saluer les compagnons de fortune qui l’ont accompagné dans ses pérégrinations immobiles : René Descartes, Pascal, Novalis, Gérard de Nerval et André Dhôtel ainsi que les musiciens Bach, Debussy et Jacqueline du Pré. Une vie consacrée à l’écriture, à la recherche constante de l’élévation de l’âme, s’apparente à celle de l’ascète prêt à tout sacrifier pour se rapprocher du sentiment religieux qui l’anime. Pour Bobin, la poésie est avant tout don de lire la vie. « Est poétique toute concentration soudaine du regard sur un seul détail, que provoque notre désir enfantin de ne jamais mourir. »
La voix de Christian Bobin demeurera vivante encore longtemps, comme la dernière image qu’il nous offre : « Un petit manège tourne, allumé dans la nuit comme un chagrin merveilleux ».