Depuis de nombreuses années, Chloé Sainte-Marie prête sa voix aux écrivains tout en s’intéressant aux diverses cultures autochtones du Canada. De son côté, Jean Morisset est géographe, professeur, essayiste et poète. Au cours de sa carrière, ses recherches l’ont amené à parcourir l’ensemble du continent américain, de la Patagonie à l’île d’Ellesmere.
Avec Maudit silence, celle qui est notamment connue pour ses magnifiques interprétations de Gaston Miron et de Patrice Desbiens s’unit à un intellectuel et homme de terrain dans une entreprise à laquelle se greffent différentes voix, dont celle de Joséphine Bacon à qui l’on doit d’ailleurs le titre du livre : « Maudit silence / Tu es seule / Les arbres silencieux t’observent / Ils arrivent / Ces chasseurs d’humains ». Dans cette œuvre collective généreusement illustrée, qui représente de nombreuses années de recherche, c’est l’Amérique tout entière, du nord au sud, que Chloé Sainte-Marie et Jean Morisset tentent de réhabiliter, un immense territoire métissé qu’ils essaient de redéfinir, cela en marge du point de vue colonial que les manuels d’histoire lui réservent généralement.
Parmi les collaborations aussi riches que variées, outre la plume de l’artiste innu précédemment nommée, on trouve celles de la romancière Nancy Huston, du poète haïtien James Noël, de l’écrivain brésilien Mathias Carvalho et de l’ethnologue Anne Chapman. Figurent également des extraits de certains écrits de Jack Kérouac en « créole canadien » et du Métis Louis Riel, assemblés par Morisset qui, d’ailleurs, signe la majorité des textes du recueil, qu’ils soient en vers ou en prose. Précisons que, si l’ensemble des passages du livre sont rédigés ou traduits en français, bon nombre d’entre eux sont parallèlement imprimés dans leur langue originale : portugais, créole haïtien, innu, maya, guarani et quechua, pour ne mentionner que les plus connues.
Ainsi, cette œuvre multiforme et complexe porte en elle une évidente volonté de réconciliation de la mémoire collective qui va bien au-delà des gestes diplomatiques posés par les autorités politiques depuis quelques années. De par la profondeur des réflexions suscitées et le réel souci de rétablir les faits, il en ressort une relecture sentie de l’histoire de la colonisation du Nouveau Monde, une reconstitution de toute la dimension autochtone oubliée qui, en quelque sorte, représente une partie de nous-mêmes que l’on a tenté de liquider. Il s’agit d’une entreprise véritablement incarnée de mise en valeur de la présence des Premières Nations sur le continent, une entreprise que Morisset et Sainte-Marie, avec toute leur équipe, rendent possible.
Enfin, il serait dommage de taire le fait que ce recueil, qui n’a rien de silencieux, est accompagné de deux CD. En fait, on pourrait même se risquer à affirmer que cet objet hybride proposé par les éditions de l’Hexagone est, en vérité, un double album de chansons doté d’un colossal et copieux livret.