Connu pour ses nombreuses pièces de théâtre et ses collaborations au cinéma avec François Truffaut, et, plus récemment, pour son magnifique conte La plus précieuse des marchandises, l’auteur a brusquement vu sa vie s’arrêter au moment où sa conjointe a été emportée par un cancer. La vie après Jacqueline commence.
Prix littéraire Le Monde 2021, Jacqueline Jacqueline se veut un hommage à la femme aimée. Véritable hymne à l’amour, le récit emprunte tour à tour la voix de la colère, de l’incrédulité, des regrets, sans oublier celle de l’humour, de l’autodérision, voire du cabotinage à certains moments. Grumberg n’a plus rien à prouver, à défendre. Il se livre ici sans fard, nu comme un roi qui a perdu sa reine.
Grumberg n’éprouve d’abord qu’une seule envie : rejoindre celle avec qui il a tout partagé au cours des 40 dernières années. Les pensées qui l’habitent, il ne s’en cache pas, sont parfois suicidaires. Pour les combattre, et maintenir vivante la présence de Jacqueline, il s’en remet à l’écriture qui lui permet, jour après jour, de maintenir le contact, de se remémorer la vie qu’ils ont menée, elle dans son atelier de couture, lui à écrire des pièces de théâtre qui la faisaient tout autant rire que pleurer – ce qui, aux yeux de Jacqueline, était sa force. Grumberg se remémore leurs premiers ébats comme leurs premières disputes, la remontée des souvenirs faisant rapidement fi de la chronologie pour s’attarder davantage aux instants qui ont compté et qu’il fait ici revivre pour apaiser sa douleur. Il doit maintenant apprendre à vivre seul, à affronter l’absence jour après jour. « Le pain de deuil se mange seul, écrit-il, et se mâche longuement tant il est dur à déglutir. » À d’autres moments, l’image de Jacqueline, son odeur, sa démarche, sa beauté l’envoûtent comme aux premiers jours. Intarissable fumeuse, Jacqueline était une femme libre et passionnée qui ne tenait pas plus compte du danger lié à sa dépendance que de ce que l’on pouvait penser d’elle. Fantasque face à la mort, elle le demeurera jusqu’à la fin.
Le récit alterne entre gravité et gaieté, entre reconnaissance et regret de n’avoir su dire à la personne aimée tout ce qu’elle représentait pour lui, tout ce qui lui a été arraché avec sa disparition. Absente de son œuvre, comme elle le lui avait un jour fait remarquer mi-sérieusement, mi-ironiquement, voilà que Jacqueline prend toute la place. « Aimer à perdre la raison », écrivait Aragon. Grumber, quant à lui, conclut son récit ainsi : « Noircir – consciemment ou inconsciemment – ces pages fut pour moi comme agiter un mouchoir blanc après le départ du train qui t’éloigne dans l’infini lointain… » Demeure le souvenir vivant d’avoir aimé et d’avoir été aimé.