Le fossé entre le comédien humoriste et le chef de guerre était énorme. Le président ukrainien a su le franchir grâce à sa maîtrise de la communication, mais son talent seul n’était pas suffisant. Il devait aussi disposer d’une bonne réserve de courage et de détermination.
Les livres de journalistes, généralement produits dans l’urgence, ne sont pas toujours de la meilleure tenue. Ici, le style bien rythmé convient parfaitement au sujet, en lui-même fascinant. Du jour au lendemain, le monde entier a vu l’image du président Zelensky s’incruster dans le paysage médiatique quotidien. Régis Genté et Stéphane Siohan, forts de leur longue expérience de l’ancien espace soviétique, lèvent le voile, au moins en partie, sur l’ascension et la transformation du clown passé aux choses sérieuses.
Dans le but de rendre plus compréhensible la soudaine popularité de ce dirigeant hors norme, Genté et Siohan reconstituent la chronologie des événements, depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine, en y ouvrant régulièrement la parenthèse sur divers aspects de la biographie de Zelensky. Ainsi, on voit que dès le début de la guerre, le 24 février 2022, le politicien en apprentissage accepte le nouveau rôle qui lui était destiné : « Volodymyr Zelensky, devenu président en promettant d’apporter la paix, se transforme en leader d’un pays en guerre ». En riposte à l’envahisseur, le président adopte le style de communication franche et parfois cinglante qui deviendra sa signature. Dans l’une de ses premières adresses à la communauté internationale, vêtu d’un sobre vêtement de type militaire, l’homme de 44 ans touche les dirigeants européens en leur disant : « C’est peut-être la dernière fois que vous me voyez vivant ». Les risques d’attentat contre sa personne se faisant plus que probables, il répond aux messagers du président Biden qui lui offrent de l’évacuer : « J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi ».
Malgré la prétention du sous-titre à dévoiler dans ce livre les pensées secrètes de Zelensky, les auteurs doivent s’en remettre aux paroles prononcées et aux gestes posés, ce qui est tout de même fort éclairant. On apprend ainsi que le président ukrainien n’est pas un parfait ovni politique. Il se situe volontiers parmi une nouvelle mouvance libérale, personnifiée par les Macron et Trudeau. Plus précisément, comme d’autres dirigeants est-européens, il semble croire que le libertarisme est la philosophie politique de l’heure pour son pays qui a soif de droits individuels. Bien que l’on qualifie aujourd’hui Zelensky de héros, son parcours n’est pas sans accroc. Les auteurs laissent entendre que la campagne ayant mené au pouvoir l’ex-comédien a engendré une dette à l’endroit de certains oligarques, ce qui risque de compliquer la réalisation de sa promesse de lutter contre la corruption. De même, l’aspirant président, vedette de la télésérie ukrainienne Serviteur du peuple, a profité de la diffusion de la troisième saison dans les semaines précédant l’élection, en contravention des règles de publicité électorale reconnues en démocratie.
Il serait toutefois malvenu de déconsidérer Zelensky en ce moment, lui dont les interventions laissent transparaître l’humilité et l’empathie, contrairement à l’arrogance et à la cruauté éminemment perceptibles chez son homologue russe. Pour l’heure, tous se rallient à Zelensky, même ceux qui en Ukraine se méfiaient de lui avant la guerre. Malgré quelques redondances dans le propos, le phénomène, tel que décrit par Genté et Siohan, soutient l’intérêt du début à la fin.