Les moyens typographiques dont dispose l’écriture pour rendre compte des riches nuances prosodiques de la voix humaine sont plutôt limités. Ainsi, au moment d’ouvrir les premières pages imprimées en caractères majuscules de ce recueil, on croit comprendre ce courroux doublé que propose le titre.
On présume que le texte cherchera à faire du bruit, qu’il tentera de brasser, de secouer le langage dans tous les sens. Cette colère liminaire, telle une crise épuisant rapidement son énergie initiale, aura cependant tôt fait de se moduler en quelque chose d’autre qui prendra alors la forme de ce qui pourrait être perçu comme une colère sourde résultant d’une incapacité, pour deux amants, à communiquer pleinement. C’est connu, la vie intérieure foisonne de subtilités difficilement transposables. Lorsque deux individus tentent de ne faire qu’un, les silences peuvent parfois en dire davantage que les paroles, la chair peut apprendre à parler : « ma disparition, je demande / que tu l’insères dans la tienne / d’être aussi clair que le silence ». Ainsi, la seule vérité possible appartient aux corps dénudés des amants, comme le langage mis à nu dans toute sa matérialité.
Du point de vue géométrique, les cercles concentriques affichés sur la page couverture partagent le même point central, aussi renvoient-ils à l’idée d’une cible dont la plus grande valeur se trouve en plein cœur de cet emboîtement parfait, espace commun, tel le lieu d’une communication optimale. Mais souvent le langage atteint des zones éloignées du centre, parfois même il rate la cible. En fait, une bonne part du recueil témoigne de cette inadéquation entre les mots et les choses, et les deux amants en viennent au constat que « la direction n’est pas claire / ce qui nous traverse l’est trop / au moins il y a dans vos nuées une langue / trop loin trop tard du ciel où se terrer ».
De plus, certains passages présentent une dimension ludique. L’ouverture de la partie « heurts quelconques en vue d’il était une fois » place côte à côte un florilège d’expressions figées et de segments de phrases qui semblent tirées de conversations quotidiennes et parfaitement banales. Extirpées de leur contexte, ces banalités affirment autre chose, réinventent leur signification pour laisser planer l’existence d’un mystère encore à découvrir. Ainsi, ce livre complexe, qui décrit le monde comme un espace très organique, présente l’étrange qualité de faire croire à celle ou à celui qui lit que sa lecture n’est pas terminée. Même après que nous ayons parcouru ses pages d’une couverture à l’autre de nombreuses fois, il persiste en nous l’idée qu’un fruit camouflé dans le feuillage attend encore d’être cueilli.