Un certain nombre d’ingrédients, incluant une bonne dose de quelque chose d’indéfinissable, doivent être réunis pour produire un bon roman. Et la réussite n’est jamais assurée, même pour une romancière de grand talent.
Le récit commence fort, avec une scène d’exécution. On plonge dans le brasier politico-religieux dont les cendres sont encore chaudes aujourd’hui en Irlande du Nord. À partir de là, tout s’embrouille.
Que vient faire dans cette histoire le journaliste français François Le Bars ? Le reporter, habitué de la couverture des conflits internationaux, a de nombreux rendez-vous avec des individus aux allégeances incertaines et prend beaucoup de précautions au quotidien pour se prémunir contre d’éventuelles filatures. Fait-il tout cela seulement pour accéder à des informations de première main et offrir à ses lecteurs de meilleurs articles ? Pas sûr.
Par ailleurs, Le Bars éprouve une forte attirance pour une certaine Anne Kelly, une Montréalaise qui se présente au grand jour comme la coréalisatrice d’un documentaire sur Samuel Gallagher, ce martyr irlandais dont le cadavre n’a pas été officiellement identifié. Les véritables accointances de la belle au parfum de jasmin resteront toutefois nimbées de mystère pour le lecteur. Le Bars étant doté d’un sex-appeal irrésistible, cela lui permet de s’offrir à volonté les jeunes femmes dont il a envie. La relation charnelle avec Anne Kelly s’engage aussi sans trop d’efforts, mais le journaliste est peut-être mûr cette fois pour davantage de profondeur, même s’il se défile comme un voleur au petit matin. Il s’ensuit une sorte de jeu du chat et de la souris entre les deux personnages, où il n’est pas toujours facile de déterminer qui est le chat et qui est la souris.
Autour de ces protagonistes, on voit se succéder les événements anodins susceptibles d’inquiéter. Qui est cet homme de l’autre côté de la rue qui semble observer ostensiblement Anne Kelly avant de simplement s’esquiver ? Est-ce une coïncidence que cette fille à l’imper passe si près de leur table alors que François Le Bars est en conversation avec l’un de ses mystérieux contacts ? L’impression que la chambre a été fouillée justifie-t-elle de quitter l’hôtel illico pour trouver un refuge plus sûr ? Finalement, il n’arrivera rien de bien terrible, ni à Kelly, ni à Le Bars, bien qu’ils soient réellement tous deux mêlés à une opération clandestine dont la nature sera révélée vers la fin du roman.
Au fur et à mesure de l’avancée du récit, fort bien mené, certains personnages deviennent plus consistants, sans toutefois parvenir à se faire vraiment attachants. Le souci du détail admiré chez Perrine Leblanc est toujours au rendez-vous et contribue grandement à faire vivre les scènes décrites. Une phrase comme « Mary O’Malley buvait son thé et ramassait avec la pulpe d’un doigt mouillé de salive les miettes de pain grillé sur la nappe à fleurs en toile cirée » permet véritablement de voir un tableau. Toutefois, on termine la lecture de Gens du Nord avec une certaine impression de rendez-vous manqué. On ne s’attendait pas dans un roman à ce que l’autrice s’étende sur les tenants et aboutissants des « Troubles » qui ont violemment ébranlé l’Irlande du Nord, jusqu’à leur officiel apaisement au cours des années 1990. Néanmoins, les protagonistes n’étant pas directement parties prenantes au conflit, le récit est campé en surface des événements réels et cela laisse un arrière-goût de promesse non tenue à l’égard du sujet.