Gabrielle Wittkop est l’auteure d’une œuvre au contenu très sombre, mais au style orfévré. Bon nombre de ses admirateurs se demanderont pourquoi, après avoir fait paraître Chaque jour est un arbre qui tombe en 2006 et réédité les Rajahs blancs en 2009, les éditions Verticales n’ont pas plutôt opté pour un texte plus conforme à la personnalité de cette « vieille dame indigne », ainsi que la décrit, excellemment, Jérôme Garcin dans Les livres ont un visage. Ses lecteurs sont en effet nombreux à attendre la réédition du magistral Hemlock ou les poisons, introuvable même sur les réseaux des librairies d’occasion.
La publication des Carnets d’Asie est pourtant justifiée. Volume inédit, accompagné de photographies prises par l’auteure, il nous rend celle-ci accessible à travers un intimisme qui ne lui est guère coutumier dans ses autres ouvrages. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’elle-même présente son livre : « Mes carnets d’Asie ne sont rien que des notes personnelles, impressions griffonnées sur mes genoux, au bord d’une rizière ou dans un bus de fer-blanc, couvrant des pages et des pages barbouillées de sueur ou étoilées de pourpre par un moustique gorgé mais vaincu ». Nous voilà donc conviés à un tête-à-tête d’un type exceptionnel.
De plus, il est légitime qu’on puisse lire les Carnets d’Asie compte tenu de l’importance qu’ont eue la Thaïlande et l’Insulinde dans la vie de Gabrielle Wittkop. Sous les traits d’une véritable aventurière, la Francfortoise livre ici un captivant récit de voyage. Elle nous offre de nombreux passages savoureux, de sa description des marchés à son portrait des hijras (transsexuels) ou à ses expériences avec le durian (fruit au goût et à l’odeur très particuliers). Ces Carnets d’Asie ne changent rien au fait que la meilleure partie de l’œuvre wittkopienne demeure, en même temps, la moins fréquentable (je pense ici au Nécrophile, à La mort de C. et à La marchande d’enfants). Cependant, les éditions Verticales ont tout de même été bien inspirées de vouloir faire connaître un autre visage que celui de l’orfèvre du vice sadien et de l’éros amoral.