On peut dire du dernier roman d’Amélie Nothomb qu’il porte sur l’apprentissage de la magie par un adolescent prodigieusement habile de ses mains. On peut évoquer son aspect « éducation sentimentale », puisque ce même adolescent s’entiche de la fiancée de son mentor. On peut enfin signaler son caractère américain (l’action se déroule principalement à Reno, à Las Vegas et dans un désert du Nevada) ou son côté forain (on y rencontre des jongleurs de feu au festival annuel de Burning Man à Black Rock City). Il y a de tout cela dans ce livre. Mais comme le suggère le titre, Tuer le père est avant tout un roman sur la paternité et la filiation conflictuelle.
Le pari peut sembler ambitieux. Comment innover sur un sujet ayant largement été exploité, surtout quand le titre, Tuer le père, affiche explicitement une tonalité œdipienne ? La réponse est plus simple qu’il n’y paraît : il suffit que ce livre ait Amélie Nothomb pour auteure. Celle-ci nous livre la clé de ses intentions quand un personnage déclare : « Moi, je pense qu’aucune séduction n’est aussi indispensable que celle d’un père ». Tuer le père est donc un roman sur la beauté mésestimée de la paternité.
D’Hamlet aux Frères Karamazov, les histoires de parricides tendent à privilégier la perspective du fils. Tuer le père ne fait pas exception. Le principal point de vue que l’on suit, c’est celui de Joe Whip, un garçon déclassé qui apprend à devenir l’un des meilleurs magiciens que l’Amérique eût connus. Quand il quitte la maison de sa mère et de son beau-père qui ne l’aiment guère pour être formé par le plus grand magicien vivant, Norman Terence, on constate aussitôt que c’est un apprentissage de la vie qui l’attend. Norman le prend en affection et assume vite le rôle paternel qui lui est dicté par les circonstances. Quand il s’aperçoit que Joe aime Christina, sa fiancée, il en est vexé, mais estime que c’est dans l’ordre des choses. « Tuer le père », c’est une manière d’aveu signifiant : « Tu es le père ».
Au fond, le charme de ce roman réside moins dans la figure du fils, Joe, que dans celle du père putatif, Norman, qui défie les stéréotypes. Nothomb s’impose chaque fois comme une romancière pleine de surprises. (Les véritables motivations de Joe, dévoilées à la toute fin du récit, le montrent bien.) Elle trace ici un portrait mémorable d’un homme pour qui la paternité équivaut au plus sacré des devoirs.