Quatrième roman d’Abla Farhoud, Le sourire de la petite juive est d’abord une réflexion sur l’émergence de l’écriture. C’est un roman riche en jeux de miroirs, où l’œuvre proposée au lecteur est aussi celle projetée par le personnage de romancière qui en est l’héroïne. Françoise Camirand est, en effet, une écrivaine avérée qui se propose dès le début du roman de faire le récit de sa rue. Or, ses fiches sur les multiples personnages qui habitent la rue Hutchison semblent bien être celles que nous lisons, si bien que nous ne pouvons nous empêcher d’identifier Abla Farhoud à son personnage. Par ailleurs, la jeune hassid, Hinda Rochel, dont des pages du journal intime se glissent entre les fiches, est en fait la source, par son apparition souriante dans les rêves de Françoise, du désir de raconter sa rue qui envahit tout d’un coup la romancière.
Le livre interroge les liens qu’entretient le créateur avec ses personnages. Abla Farhoud ne semble pas pouvoir être identifiée à un seul d’entre eux, elle est en chacun. De même que, « quand un peintre fait un portrait, c’est toujours lui‑même qu’il peint », l’écriture est d’abord exploration en l’autre de soi‑même.
Or, c’est à travers une altérité très prononcée, presque impénétrable, celle illustrée par les hassidim, que ce roman explore les fortes similitudes entre des êtres en apparence très différents et touche du même coup à un des thèmes favoris de l’auteure, celui de l’immigration. La rue Hutchison est de toute évidence choisie pour sa multiplicité ethnique. Mais qui est l’autre ici ? Sont‑ce les hassidim, les Grecs, les couples « mixtes » ? Sylvain Tremblay, le Québécois « pure laine », vedette has been, est‑il vraiment mieux intégré à son environnement que Hinda Rochel ?
Profondément, nous serions tous des émigrés dans l’âme, semble nous dire Abla Farhoud dans une écriture urbaine qui hésite entre le recueil de nouvelles et le roman. Dans cette formule fragmentaire et pourtant toute faite de liens et de dépendances, se trouve soulignée la continuité entre les êtres malgré les parois en apparence rigides qui séparent leurs univers.