« On peut croire que traduire d’une langue à l’autre est une opération assez mécanique : remplacer les mots étrangers par leur équivalent, remettre le tout en ‘bon français’ et puis hop, l’affaire est dans le sac, non. » Ce n’est généralement pas si simple, nous apprend Nicolas Richard.
Celui-ci a traduit 120 livres, d’auteurs en grande majorité américains, pour différentes maisons d’édition, allant des moins connues (L’Incertain, Cambourakis) aux plus prestigieuses (Gallimard, Albin Michel, Seuil). Pour beaucoup, ces écrivains, du moins ceux de ses débuts, se rattachaient au courant beatnik (Kérouac, Ginsberg, Ferlinghetti) ou au journalisme gonzo, un journalisme d’immersion subjectif à la Hunter S. Thompson. La grande difficulté représentée par cette littérature était, nous dit-il, d’en rendre la rythmique et la couleur. Puis se sont présentés à lui d’autres défis avec les auteurs dde romans, de nouvelles, de mémoires comme Thomas Pynchon, Donald Westlake, Nick Hornby, Woody Allen ou Barack Obama.
En plus d’un inventaire des auteurs auxquels il s’est frotté (72 en tout et pour tout, et dans le cas de certains, pour plusieurs titres), Nicolas Richard propose, pour chacun, une brève notice qui le situe parfois dans son milieu d’origine, parfois dans le paysage littéraire de son époque, ou qui nous dit dans quelles conditions s’est fait une traduction particulière. À partir de là, il présente une ou des difficultés très précises (parfois un mot, un idiotisme) rencontrées en cours de traduction et nous dit comment il les a résolues à l’époque et, dans certains cas, comment il les résoudrait aujourd’hui. Comme quoi les traductions sont soumises, elles aussi, à l’air du temps.
Par exemple, au début du roman Garbage (Ordures) de Stephen Dixon, un patron de bar accueille deux clients d’un « How you doing, fellas, what’ll it be ? » qui devient dans la version retenue par l’éditeur « Messieurs, bonjour, qu’est-ce que je vous sers ? », ce qui est beaucoup plus conforme aux rapports qu’entretiennent entre eux les Français. Nicolas Richard le reconnaît lui-même, cette adaptation culturelle fait en sorte que nous ne sommes plus dans un bar américain mais dans un bistro parisien. « Comment va, les gars, ce sera quoi ? » aurait mieux convenu, affirme-t-il aujourd’hui.
Bien que la traduction soit un travail éminemment solitaire, on n’a pas idée, nous dit-il, du nombre de personnes (autres traducteurs, spécialistes divers, éditeurs, souvent l’auteur lui-même) qu’il faut consulter pour mettre au point une traduction. Il faut même parfois jouer au limier. Ainsi, dans un livre de Charles Plymell, il bute sur « ʻthat thing that chokes itself out of greed and gear’ (cette chose qui s’étouffe elle-même par cupidité et… quoi ? gear ? [embrayage]) ». Après avoir épuisé toutes ses ressources et s’être creusé les méninges dans tous les sens, soupçonnant finalement une coquille dans l’édition originale, il communique avec l’auteur pour apprendre qu’effectivement au lieu de « gear », il aurait fallu écrire « fear » (peur, crainte).
L’ouvrage de Nicolas Richard fourmille littéralement d’exemples de la sorte. On peut même dire qu’ils sont la matière même de ses carnets. Pour intéressantes qu’elles soient, prises individuellement, il n’est pas certain que ces petites énigmes de traduction puissent nourrir pendant plus de 400 pages l’intérêt d’un grand nombre de lecteurs en dehors des traducteurs eux-mêmes ou de ceux et celles qui aspirent à le devenir.