Longtemps méconnue et un peu oubliée dans son pays natal, la chanteuse est décédée à Montréal à l’âge de 37 ans seulement (1972-2010). Cette biographie retrace son parcours fait de rencontres et de métissages.
Il faut admettre que le titre en français de cette biographie est mal choisi : imprécis et laconique, il ne contient même pas le patronyme de la chanteuse. Envoûtante Lhasa s’adresse d’abord aux initiés. Lhasa de Sela n’a enregistré que trois disques, mais elle a œuvré sur les scènes montréalaises et dans les milieux alternatifs nord-américains. On l’entendait peu à la radio et elle ne passait pas à la télévision : elle suivait les circuits propres aux musiques du monde dans lesquelles elle puisait son style et une partie de son répertoire. Propulsée par le musicien montréalais Yves Desrosiers, elle s’est gagné un public fidèle, même si la Texane Lhasa n’était pas vraiment une vedette, sauf peut-être en France. Inclassable, on l’a quelquefois comparée à Janis Joplin et même à Leonard Cohen (pour ses atmosphères). C’est beaucoup dire.
Journaliste au prestigieux magazine Rolling Stone, Fred Goodman a initialement fait paraître ce portrait chez un éditeur savant, University of Texas Press (2019), sous le titre Why Lhasa de Sela Matters(Pourquoi Lhasa de Sela est importante). Bien qu’il ne l’ait jamais rencontrée, Fred Goodman nous apprend beaucoup sur l’enfance traumatisante et les débuts atypiques de la chanteuse, longtemps ballottée de part et d’autre de la frontière américano-mexicaine. Il considère avec bienveillance – à l’évidence, Fred Goodman n’est pas Canadien anglais – la ville d’adoption de Lhasa, ce qui donne à sa vision une perspective originale, dès le second chapitre : « [L]a métropole québécoise était en pleine renaissance artistique et culturelle ». Et le bien nommé Goodman ajoute : « Montréal se révélait pleine de surprises et agréablement exotique pour une fraction du prix de Brooklyn ». En 1997, Lhasa enregistre son premier disque à Montréal, principalement en espagnol, accompagnée par des musiciens montréalais. Grâce à La Llorona (ce qui signifie « La pleureuse »), paru chez Audiogram, elle est aussitôt choisie pour représenter le Québec en Europe lors de la série « Découvertes » du Printemps de Bourges et devient subitement une vedette. C’est encore aujourd’hui la pochette de CD la plus laide qu’il m’ait été donné de voir.
Fred Goodman a recueilli beaucoup de témoignages contrastés. Je ne crois toutefois pas que cette monographie axée sur l’instabilité et la douleur soit la meilleure manière de découvrir l’ensorceleuse – et parfois l’insupportable – Lhasa : sa musique et ses disques parleront mieux pour elle. Un parc porte son nom, à Montréal. Peut-être que de nombreux amateurs – comme Fred Goodman, pourtant féru de musique – la découvriront de façon posthume. La traduction parfaitement transparente de Nicolas Calvé nous permet de retrouver la voix même du biographe, sans surenchère ni ajout d’argot parisien. Une fois n’est pas coutume, il convient de souligner la belle préface du chanteur Arthur H, qui a connu Lhasa. Quel style inspiré et quelle belle écriture !