Roman hybride s’il en est, le quarantième livre du dramaturge et romancier Michel Tremblay est unique dans l’ensemble de son œuvre. Texte dans le texte, ou pièce de théâtre entrecoupée d’épisodes de réflexion, Le cœur en bandoulière est un hommage à Tchekhov, sur fond de confidences de l’écrivain qui doute de son talent.Le prolifique auteur habite la petite île de Key West (Floride) depuis vingt-cinq ans, en fait depuis vingt-cinq hivers. Les mois de grands froids, il se tapit dans son petit paradis et tente d’oublier les rues enneigées de Montréal. « Chaque automne, je descends à Key West avec une valise de livres, la plupart des romans québécois, et je me lance dans la production de la rentrée. » Routine que connaît bien son fidèle lectorat, lequel, bon an, mal an, l’attend de pied ferme au Salon du livre de Montréal pour faire dédicacer son dernier livre, sa cuvée de l’hiver précédent, née au soleil.Il y a cinq ans, la magie habituelle n’a pas opéré. La pièce en un acte intitulée Cher Tchekhov est restée dans le fond d’un tiroir, inachevée. L’histoire réunissait dans la maison familiale un frère et ses trois sœurs, ainsi que leurs conjoints, le temps d’un repas. Tremblay avait « arrêté au bout de quatre-vingts pages, chose qui ne [lui] était jamais arrivée auparavant ».Essayant d’oublier l’angoisse de la réécriture, tout en procrastinant tant et plus, Jean-Marc – alter ego de l’écrivain – reprend le projet. Il corrige le texte original, l’annote et partage généreusement avec ses lecteurs ses hésitations, ses décisions, ses commentaires. Tel personnage ou tel autre devrait-il dire ceci ou cela, faire ceci ou cela ? Bref, il expose son travail de révision.En parallèle, le romancier parle de sa crainte d’être dépassé et de la peur que « son avenir soit derrière lui ». Les cinq intercalaires du livre sont des moments de réflexion nommés fort à propos « Coucher de soleil 1 », « … 2 », « … 3 »… « Est-ce que [je vis] la frustration de quelqu’un qui n’a plus rien à dire et qui revient sur ses vieilles erreurs ? » Tous les jours, l’auteur contemple le soleil qui plonge dans le golfe du Mexique, revisite ses lieux favoris et partage ses émotions. « J’apprécie […] quand le soleil peut se coucher en paix sans risquer de se faire chahuter. »Il demeure fascinant d’accompagner un écrivain dans un tel exercice de révision et d’assister de visu à la renaissance d’un de ses textes. Une renaissance qui, malgré le sérieux de la tâche, allie fous rires et moments de tendresse, car Tremblay demeure Tremblay. La re-rédaction de cet hommage à Tchekhov n’aura pas été chose facile. « J’ai le cœur en bandoulière, ce soir […]. Trop lourd, mon cœur prend trop de place dans ma poitrine. »Nous lui souhaitons une prochaine année plus légère.
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