Un banal objet, un geste observé : voilà matière à une histoire originale pour la nouvelliste au regard perspicace. Dans Le complexe de Salomon, elle nous propose douze nouvelles dont les thèmes saisis dans l’air du temps s’avèrent plus ou moins graves, mais presque toujours traités avec le soupçon de légèreté que l’autrice sait insuffler à ses créations.Un arrêt d’autobus dans un endroit désert face à un pénitencier sera l’élément déclencheur pour dénoncer les préjugés et idées reçues à l’égard des prisonniers et ex-détenus, des Noirs, des Arabes et autres immigrés. Deux personnages. L’un silencieux, mais tendu, l’autre injurieux. Tension. Chute : revirement de situation, coup de théâtre qui assure une fin heureuse. Un billet de vingt dollars oublié dans un guichet déclenche une parodie du jugement déroutant du roi Salomon, histoire qui donne son titre au recueil. Ailleurs, Hélène Vachon fait une critique douce du recours excessif à la chirurgie plastique pour attirer un mari distrait. Là, regard ironique sur le phénomène de la surstimulation des enfants transformés en singes savants par leurs parents. Une bouteille d’eau intelligente rappelle les dérives possibles et l’absurdité de certaines utilisations de l’intelligence artificielle. La nouvelliste s’amuse aussi du travers observé dans certains milieux où l’on perçoit comme suspect le geste honnête et gratuit. Le texte traitant d’un auteur qui essaie de se débarrasser de ses livres invendus est particulièrement savoureux : ces invendus sont à la fois un constat d’échec de l’auteur et une mise en lumière du comportement contradictoire du public qui ne les achète pas mais trouve sacrilège qu’on les détruise.L’autrice dédramatise les situations en usant de procédés comiques tels que l’hyperbole et l’accumulation, ou le comique de situation comme dans le dialogue « Entre psys » et dans « Sous haute surveillance », où le gardien des prisonniers les plus endurcis « s’évanouit au moindre choc ». Le quiproquo est en quelque sorte le sujet de « Malentendant et malentendu ». Plusieurs chutes « pirouettes » participent aussi au ton amusant du recueil.Seules deux nouvelles suscitent plutôt l’émotion et l’empathie : « Le vieux chien », traversée par la tendresse d’un maître pour son ami fidèle arrivé au bout de sa vie, et la dernière, « Désenchantement ». Le narrateur y suit de près, puis pénètre la conscience du grand écrivain autrichien Stefan Zweig en exil à Petrópolis, le jour même de son suicide et de celui de sa femme en février 1942. « Le devoir de l’exilé est de recommencer. De recommencer et de perdre la mémoire », pense l’écrivain sexagénaire, qui ne s’en sent plus la force. Touchante nouvelle biographique qui se clôt avec un extrait de la lettre d’adieu de l’auteur de l’œuvre posthume Le monde d’hier. Ce récit nous rappelle par ricochet la difficile adaptation des réfugiés d’âge mûr.Le lecteur retrouvera, dans Le complexe de Salomon, la langue coulante, juste et naturelle d’une écrivaine qui peaufine son art. Il reconnaîtra les marques de la tonalité favorite de ses œuvres antérieures, notamment de Santa. Souhaitons-lui, pour paraphraser la chute de « Boomerang », de traverser les ans.
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