Pour sa troisième œuvre publiée, l’auteure de Kuessipan (2011) et de Manikanetish (2017) s’est vu attribuer le Prix littéraire des collégiens 2020. Sous la forme d’une longue lettre adressée à une amie d’enfance sur le point de revenir à Uashat après des années d’absence, la narratrice lui raconte ce qu’elle doit savoir sur les siens.
Cette amie, Julie – « Shuni » en langue innue, où les sons J et L sont imprononçables – n’appartient pas à la communauté, même si elle a passé une partie de son enfance à Uashat. Son père est le pasteur qui a fait bâtir l’église baptiste devant le Conseil de bande. Alors que tout les différenciait, la narratrice et elle s’étaient liées d’amitié. Aujourd’hui diplômée en travail social, Julie s’apprête à revenir en tant que « missionnaire ». Pour qu’elle ne se méprenne pas sur le compte des Innus et pour lui faire voir autre chose que les navrantes statistiques sur le décrochage scolaire, la toxicomanie ou le suicide, la narratrice trace un portrait bien senti de son peuple et de sa réalité, s’inspirant d’un voyage à Haïti où elle a pu constater le décalage entre « ce que l’on croit » et « ce qui est ». Le sous-titre de l’ouvrage, Ce que tu dois savoir, Julie, est d’ailleurs un clin d’œil au livre de Dany Laferrière, Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo.
Même s’il est présenté comme un roman, Shuni relève davantage de l’essai autobiographique et de la prose poétique. L’auteure y aborde une diversité de sujets : la sédentarisation, le rapport innu au temps, au travail et au sport, l’amour du territoire, la figure de la mère, les préjugés contre les femmes autochtones… Elle relate des souvenirs d’enfance, évoque la douloureuse perte de son père Marco, mort jeune dans un accident, ou se tourne spontanément vers son « Petit Ours », Marcorel, le fils qu’elle a nommé en son honneur et en celui du peintre Marc-Aurèle Fortin. Elle procède aussi à certaines mises au point, montrant par exemple qu’il n’y a rien de contradictoire à adopter la modernité et à perpétuer la culture ancestrale, ou à écrire dans la langue coloniale (le français) et à aimer cette langue.
Avec Shuni, Naomi Fontaine participe à l’affirmation d’une littérature innue en fière héritière d’An Antane Kapesh (1926-2004), dont elle a réédité et préfacé chez Mémoire d’encrier le texte fondateur de 1976, écrit en innu-aimun, Je suis une maudite Sauvagesse.