Ce septième volume des « Œuvres de Jean Meckert » paraît après douze ans d’interruption. Les deux tomes précédents, Nous sommes tous des assassins (1952) et Justice est faite (1954), remontent en effet à 2008.
On ne peut qu’applaudir devant la reprise de cette initiative visant à faire connaître ce grand romancier des classes populaires, que l’essayiste Annie Le Brun qualifiait d’« antidote à Céline ».
Entre-temps, Stéfanie Delestré (coresponsable avec Hervé Delouche de cette publication d’inédits et d’introuvables) a pris la tête, en 2017, de la « Série noire », collection à laquelle Jean Meckert (1910-1995) contribua pendant 35 ans sous le pseudonyme de Jean Amila. Voilà qui augure bien pour la suite des choses, car il reste d’excellents romans à exhumer, tels La lucarne (1945) et La ville de plomb (1949).
Nous avons les mains rouges (1947) est le quatrième des neuf titres que Meckert publia à la collection « Blanche » de Gallimard entre 1941 et 1954. On y suit l’histoire de Laurent Lavalette, dit La Fleur, un jeune homme de 24 ans qui vient de passer deux ans à la prison de Rocheguindeau et qui rencontre à sa sortie un certain M. d’Essartaut, ancien chef de maquis, qui l’invite à travailler à sa scierie de Sainte-Macreuse, en montagne. Un autre ancien prisonnier y travaille déjà, le costaud Armand, avec qui Laurent se lie d’amitié. Laurent apprend aussi à connaître Hélène et Christine, les filles de d’Essartaut. Cette dernière, sourde et muette, lui semble particulièrement charmante. Bientôt, Laurent découvre que les activités de son hôte ne concernent pas tant la coupe et la vente de bois que des expéditions punitives dirigées contre des profiteurs de guerre. Avec l’aide du pasteur Bertod, du bègue Fructueux et de quelques autres gars du village, d’Essartaut et Armand procèdent à des purges qui ressemblent cependant au fascisme que ces anciens résistants prétendaient combattre durant la guerre. La frontière entre justice et banditisme est donc très mince, et Meckert en traite fort habilement, devançant en cela Sartre et ses Mains sales. On trouve aussi dans ce roman l’un des thèmes fétiches de Meckert : les difficultés du mâle à s’exprimer comme il le souhaite. Même s’il n’a pas la poigne du roman Les coups (1941), sans doute le meilleur Meckert, Nous avons les mains rouges est tout de même admirable.