Un autre nom québécois pourrait être ajouté à la longue liste des « Écrivain(e)s méconnu(e)s du XXesiècle ».
Auteur considéré comme « avant-gardiste », Réal Benoit – sans accent circonflexe sur son patronyme – est devenu célèbre à l’échelle régionale pour un livre étrange et inclassable : Nézon, recueil de quatorze récits ou contes caustiques, paru chez Lucien Parizeau en 1945, soit trois ans avant le Refus global. Les critiques dans les journaux de Montréal seront aux extrêmes, reprochant parfois au jeune écrivain de mépriser son lecteur ; mais, au moins, on parlera du premier livre de « ce jeune musicographe de Radio-Canada ». C’est là qu’il fera une bonne partie de sa carrière dans différents métiers, dont ceux de producteur mais aussi d’animateur de l’émission Ciné-Club. Dès la fin des années 1940, Réal Benoit fera partie du « milieu » artistique montréalais et de ce fait fréquentera des écrivains locaux, de jeunes cinéastes, des critiques du Devoir, des créateurs de la télévision naissante et de l’ONF. À 70 ans d’intervalle, une réédition de Nézon paraîtra en 2015 aux éditions Moult.
Rien n’est laissé de côté dans cette biographie fort bien documentée et foisonnante de témoignages : un modèle en son genre. On revit les premières fréquentations littéraires de l’adolescent de Blainville, dont Jean Giraudoux et Blaise Cendrars, qu’il appréciait particulièrement parce que ces auteurs évoquaient parfois le Canada et l’Amérique ; mais il découvre également certains ouvrages à l’Index comme les contes licencieux de La Fontaine, fournis discrètement par une tante libraire. C’était durant les années 1930, et le jeune homme se passionnait déjà pour des compositeurs contemporains comme Érik Satie et Maurice Ravel. Ultime consécration, Réal Benoit reçoit en 1965 le Grand Prix de la ville de Montréal qui récompense son livre Quelqu’un pour m’écouter. On peut d’ailleurs trouver sur Internet un fac-similé du formulaire d’inscription rédigé de la main de Réal Benoit. Néanmoins, l’écrivain primé rejettera l’étiquette de « nouveau roman » accolée à son œuvre tout en refusant farouchement l’idée d’être « à la mode », même s’il admettait avoir été séduit par le film L’Année dernière à Marienbad (1960), sur un scénario d’Alain Robbe-Grillet !
Marie Desjardins avait déjà fait paraître cinq biographies, dont l’excellent Vic Vogel, histoires de jazz (voir commentaire dans NB). À nouveau, on retrouve ici un portrait très complet, rédigé méticuleusement, d’un auteur-cinéaste-producteur qui semblera inconnu à beaucoup de nos contemporains. Les crises, les contradictions et les défauts de l’écrivain ne sont pas dissimulés : « Réal avait l’habitude de la polygamie ». Ce Réal Benoît : 1916-1972, l’avant-garde permet en filigrane de revivre cette modernité québécoise des années 1960 qui correspond à ce que l’on nommait « la Révolution tranquille », mais en faisant bien comprendre que ce vent de renouveau et d’audace n’était pas unanime ; beaucoup de critiques négatives et de plaintes à propos du travail de Réal Benoit à Radio-Canada sont ici retranscrites. Notons finalement qu’un mineur abitibien, devenu chansonnier durant les années 1970, se nommait Réal V. Benoit.