What’s in a name? interroge Shakespeare dans Roméo et Juliette. Est-il faux, ou juste, de croire que le nom a préséance sur la réalité ? La valeur d’un tableau repose-t-elle avant tout sur la signature qui l’orne ?
Y a-t-il une réelle frontière entre la fiction et la réalité ? Peut-on s’approprier la vie de quelqu’un pour en faire une œuvre de fiction ? Ces questions, et bien d’autres, alimentent la quête que mène Simon Roy dans son plus récent roman, Fait par un autre.
Le titre déjà annonce les couleurs. Il fait référence au peintre Réal Lessard, né à Mansonville dans les Cantons-de-l’Est, dont la vie, pour ce que l’on en sait, est des plus rocambolesques. Son passage remarqué sur le plateau de Bernard Pivot, en 1988, à la suite de la publication de son autobiographie, judicieusement titrée L’amour du faux, suivi d’un entretien qu’il accordera au journaliste Jean-François Lépine contribueront à forger la légende qui auréole le personnage. Lessard avouera, dans son livre, au même titre qu’un autre faussaire rendu célèbre par Orson Welles dans son film Vérités et mensonges (F for Fake), Elmyr de Hory, qu’il aura concouru à garnir généreusement les collections des grands musées de ce monde. Les retrancher équivaudrait à vider les réserves. Il y a cette scène inoubliable dans le film de Welles dans laquelle Elmyr de Hory avouait à la caméra devoir s’efforcer d’avoir le geste moins sûr lorsqu’il reproduisait une toile de tel peintre célèbre. On nage ici en plein délire. La vie de Réal Lessard dépasse tout ce que l’on peut imaginer dès lors que tout s’offre à lui par les bons soins de Fernand Legros, célèbre commerçant d’art, qui abusera de la confiance de Lessard en lui faisant miroiter qu’il lui permettra d’accéder à la célébrité des plus grands peintres. En cela, il faut reconnaître qu’il ne lui a pas menti, mais la reconnaissance acquise par Lessard n’est pas celle qu’il escomptait.
Voilà campé, en quelques traits grossiers, le fond de scène du roman qui comporte de nombreux changements de décor. Comme dans ses deux précédents romans – l’on pense ici surtout à Ma vie rouge Kubrick, dans lequel il relatait le suicide de sa mère et sa fascination pour le film The Shining –, Simon Roy intercale dans le cours du récit des éléments autobiographiques et des références factuelles, ces dernières étant vérifiables il va sans dire, parfaitement en lien avec l’objet de sa quête, ici la recherche du vrai. Ou les efforts pour en percer la vraie nature, pour démontrer que le vrai ne loge pas toujours à l’enseigne que l’on croyait. Le nom même qui coiffe les œuvres de fiction de Simon Roy n’est pas celui qui apparaît sur les registres de l’état civil, mais celui, selon lui, qui correspond à sa véritable identité. L’enquête entreprise autour du personnage de Réal Lessard (dont le prénom, en anglais, laisse déjà percevoir l’ambiguïté, ou la fragilité de ce que l’on considère real) devient en quelque sorte le prétexte pour se lancer dans une quête autrement plus personnelle. « Peut-être, écrit Roy, me suis-je forgé dès l’adolescence une sorte de personnage de fiction littéraire, à mon avis moins simpliste que l’étiquette réductrice d’imposteur. »
Ce roman est une réussite à plus d’un titre. D’abord par sa structure, l’alternance des nombreuses péripéties ayant marqué la vie du couple Lessard-Legros (Lessard demeurant toujours introuvable à ce jour, Legros étant décédé en 1983), parfois dignes d’une traque policière, et des interrogations qu’elles soulèvent, notamment la valeur accordée à une œuvre d’art, maintient déjà l’intérêt du lecteur. On comprend la fascination qu’a pu exercer le personnage d’Elmyr de Hory sur Orson Welles, comme celui de Réal Lessard sur Simon Roy. Puis, par les réflexions, multiples, nombreuses, qu’il partage sur la notion de vrai et de faux, sur la frontière que l’on s’efforce de tracer entre les deux, autant en art que dans nos vies. Enfin, et cet aspect n’est pas le moindre : par la quête personnelle de Simon Roy, eu égard à sa propre identité, à ce qui l’a forgée, qui nous est ici livrée sans fard. Au fond, ne sommes-nous pas tous des imposteurs ?