À la suite de ses fiançailles avec son petit ami, Peter, Marian a de plus en plus de difficulté à s’alimenter. Au fur et à mesure que le mariage se concrétise, Marian étouffe. Refusant d’avaler le modèle de femme qui lui est imposé, elle n’arrive plus à avaler du tout.
Cette édition du premier roman de Margaret Atwood fait partie d’une réédition de son œuvre accompagnant la sortie en format poche du roman Les testaments. À la lecture de La femme comestible, paru en 1969, on constate rapidement que le récit transcende les décennies. Atwood nous donne ici un avant-goût prononcé des thèmes qui feront sa renommée, orchestrant une lutte féministe à même le corps de Marian. Dévorée par le monstre patriarcal, la jeune femme ne peut se résoudre à faire subir son sort à autrui, qu’il soit de nature animale ou végétale. Entre différentes images de la maternité, de la vieillesse, du mariage et de la réussite, Marian est devant l’impossibilité de se trouver, phénomène qui se matérialise par l’impossibilité de manger. À ses côtés siège Ainsley, femme provocante qui veut un enfant seule et qui n’hésitera pas à manipuler un homme pour concevoir son bébé. Un beau clin d’œil d’Atwood à l’unilatéralité de la contraception, toujours d’actualité 50 ans après la parution du roman.
La femme dévorée devient rapidement une femme effacée. Dans un jeu de narration qui nous fait passer de la première à la troisième personne, Atwood pose Marian en personnage dépossédé de sa propre existence. Lorsque celle-ci visualise son avenir avec Peter, elle se voit comme une « minuscule silhouette en deux dimensions […] posant à la manière des femmes en papier des catalogues de vente par correspondance, virevoltant et souriant, voletant dans l’espace vide et blanc… » C’est le coup de grâce, l’acte final de ce combat d’une femme qui refuse de se voir dans l’objectif de l’appareil photo de son fiancé, de peur de se voir figée à jamais dans une image qu’elle ne reconnaît pas.
Dans ce monde aux allures dystopiques où l’espace et le temps sont impossibles à fixer, Marian se perd et se retrouve à travers la nourriture, une métaphore qui sied particulièrement bien à notre époque. La lecture de La femme comestible ne nous laisse assurément pas sur notre faim ; et on ne saurait mieux résumer nos impressions de ce récit qu’en citant la dernière phrase du roman : « Merci, a-t-il dit en se léchant les lèvres. C’était délicieux ».