Ceux qui s’attendraient à lire une biographie traditionnelle de Winston Churchill en ouvrant La splendeur et l’infamie seront déçus. Au lieu de nous faire le portrait de pied en cap du grand leader anglais, de sa naissance jusqu’à sa disparition, comme des dizaines d’autres l’ont fait avant lui, dans La splendeur et l’infamie, Erik Larson se concentre sur sa première année comme premier ministre, soit la période qui va du 10 mai 1940 au 11 mai 1941.
Pourquoi cette période ? Parce que c’est pendant cette période, nous dit Larson, que s’est cristallisée l’image que l’histoire a retenue de lui : celle du bulldog pugnace à l’éternel cigare, du grand orateur aux discours galvanisants, de l’infatigable résistant aux pilonnages hitlériens. C’est en effet la période où l’Angleterre a connu les terribles attaques aériennes qui ont laissé dans leur sillage 44 652 morts parmi les civils et 52 370 blessés, sans compter des centaines de milliers de sans-abri.
Sans faire l’économie des faits marquants de cette période, Larson propose ici « un récit […] intimiste qui explore la façon dont Churchill et son premier cercle s’y sont pris pour survivre au quotidien : les moments sombres et légers, les imbroglios sentimentaux et leurs détours, les chagrins et les rires, et les petits épisodes qui révèlent comment la vie a été réellement vécue sous la tempête d’acier hitlérienne ». Ce qui intéresse Larson, on le voit, ce sont moins les évènements – qui ne sont pas escamotés, redisons-le – que la manière dont ceux-ci ont été vécus par Churchill lui-même, sa famille et sa garde rapprochée.
Nous sommes ici dans une chronique de l’intime plus que dans une saga historique. En puisant, entre autres, dans les journaux intimes, dans les correspondances, dans les milliers de notes de service et les rapports de renseignements internes qui prenaient chaque semaine le pouls de l’opinion publique anglaise, et jusque dans les inventaires alimentaires de la résidence du premier ministre, il en arrive à reconstituer presque au jour le jour, parfois même heure par heure, la vie de la famille Churchill et de ses plus proches collaborateurs.
L’auteur donne tant de détails sur leur quotidien et leur état d’esprit au moment où se déroulait autour d’eux une grande tragédie nationale – tout en nous rapportant, en parallèle, ce qui se passait dans la tête de Goebbels, Goering ou Hitler en même temps – que le lecteur, haletant, a l’impression d’être sur place et de vivre les évènements avec eux. Un tour de force en soi, sachant que l’on connaît tous l’issue de l’histoire.
C’est là que réside l’immense talent d’Erik Larson : celui de réactualiser le passé en le restituant dans son chaos originel. Journaliste et historien de formation, il marie l’habileté de la plume du journaliste-témoin, qui sait tenir son lecteur en haleine jusqu’au bout, et la minutie de l’historien dans la collecte des faits. À cet égard, le chapitre qui raconte le bombardement du Café de Paris, une boite de nuit que fréquentait la jeunesse dorée londonienne à l’époque, constitue à lui seul une pièce d’anthologie. En lisant La splendeur et l’infamie, en plus d’une multitude de traits de caractère moins connus de Churchill, le lecteur découvrira également un écrivain qui sait raconter l’histoire comme aucun autre.