La littérature comme source de vie.
La littérature n’est pas qu’un moyen d’éducation, de moralisation ou de propagande. Elle peut aussi être une source de réflexion candide sur soi, sur le monde, sur la condition humaine. C’est ce que nous rappelle avec bonheur Mustapha Fahmi. Ce professeur de littérature anglaise à l’Université du Québec à Chicoutimi nous livre en effet dans ces pages des méditations toutes simples qu’il tire de diverses œuvres – notamment de Shakespeare –, œuvres qu’il a manifestement étudiées avec amour durant de nombreuses années.
Par exemple : que peut nous apprendre Le roi Lear ? Fahmi aurait indéniablement toutes les compétences et connaissances qu’il faut pour nous assommer avec une brique sur le sujet. Il se contente d’évoquer les grandes lignes de l’histoire, de faire ressortir les principaux thèmes qui l’ont touché – qui ont touché des milliers de lecteurs depuis 400 ans, qui ne peuvent que nous toucher – et de nous faire partager ses observations. Tout cela en quelques chapitres de, parfois, quelques lignes. Le roi Lear, faut-il le rappeler, s’est dépouillé de son royaume pour le remettre entre les mains de deux filles qui s’avèrent ingrates. Dans sa tête, il est encore roi par essence, mais aux yeux de ses proches, il n’est plus qu’un homme comme les autres. Quand il demande à son intendant Oswald : « Qui suis-je ? », celui-ci répond prosaïquement : « Vous êtes le père de ma maîtresse ». Le roi est « stupéfait, outré, insulté ». L’auteur commente ainsi la situation, comme il le fait probablement dans ses cours – qui doivent ressembler aux cours de littérature dont nous rêvons tous : « Avec la question de Lear, Shakespeare touche au cœur de ce que nous appelons aujourd’hui la question identitaire : Qu’est-ce qu’une identité ? De quelle façon s’articule-t-elle et dans quelles circonstances peut-elle se perdre ? » Il poursuit son propos en traitant de théâtralité et d’authenticité, en passant par Charles Taylor et Simone de Beauvoir (prenant ses distances avec celle-ci quant à l’interprétation de cette pièce de Shakespeare), pour nous emmener à sa conclusion : « La seule chose que l’on puisse savoir sur soi-même, en fait, c’est ce qu’on veut être ».
Fahmi traite ainsi de divers thèmes en morceaux digestibles : la liberté, la vérité, la sagesse du fou, le cynisme, l’humeur… Plusieurs auteurs y passent, tels Sartre, Kierkegaard, Arendt… Toujours vulgarisés, toujours dans un propos réduit à la substantifique moelle, un peu par la voix du père bienveillant qui réfléchit tout haut au coin du feu.
Et, évidemment, l’amour. Qu’est-ce que « la promesse de Juliette » ? Il ne faut pas oublier que dans la célèbre histoire de Roméo et Juliette, l’idylle ne dure qu’une semaine. Une semaine entre le moment où Roméo oublie d’un coup celle qui était son amoureuse jusque-là, Rosaline, ébloui par la beauté de la fille Capulet, et le moment où les amants se donnent la mort parce que la rivalité de leurs familles ne leur permet pas de vivre unis. Au fond, les deux mettent fin à leurs jours parce qu’ils ne peuvent vivre ce qui n’est encore, à cette étape, qu’une promesse de bonheur. L’amour et le bonheur sont à la fois quelque chose que l’on vit et quelque chose que l’on imagine. Comme l’a écrit Maurice Bedel : « Où se forme le plaisir de Roméo sinon dans l’illusion qu’il se fait de Juliette ? »
Ce livre est un cadeau inattendu de la COVID. En effet, Fahmi l’a écrit pendant sa convalescence, atteint de la maladie qui a éclipsé toutes les autres en 2020-2021. Cet état explique peut-être l’absence de longs développements, mais nous nous permettons d’en douter. On sent plutôt derrière cette plume sobre une profondeur qui évacue tout palabre après une saine décantation.