Paru en 1973, ce premier roman du grand Henning Mankell contient déjà tous les ingrédients de son œuvre à venir. En narrant les péripéties du dynamiteur Oskar Johansson (1888-1969), l’écrivain âgé alors d’à peine 25 ans rend hommage aux ouvriers qui ont bâti le « modèle social suédois ». En tout esprit de solidarité.
De facture plutôt classique, Le dynamiteur est une fiction qui raconte la vie d’un homme simple. Il faudra attendre 1991 pour que naisse la série policière mondialement connue qui comptera une douzaine de titres et qui fera la renommée de l’écrivain disparu en 2015, à l’âge de 67 ans. Son héros, le commissaire Wallander, basé à Ystad, au sud de la Suède, est un être solitaire, taciturne, nostalgique et un peu bougon, auquel de nombreux lecteurs s’attacheront.
L’ouvrier dynamiteur Oskar travaille quant à lui à la construction du chemin de fer, jusqu’à ce qu’une charge explosive le blesse grièvement et le laisse quasi invalide. En 1911, « l’incroyable s’était produit : un dynamiteur avait survécu si près d’une explosion ». Une fois rétabli, il continuera cependant « à travailler comme dynamiteur », se mariera et aura trois enfants.
Au milieu des années 1950, Oskar prendra sa retraite et achètera de l’armée une baraque désaffectée, située sur une petite île de l’archipel de Stockholm. Il y passera tous ses étés après la mort de sa femme, en compagnie d’un nouvel ami qui sera le témoin sans nom de ses dernières années ; celui-ci tiendra dans le récit le rôle du narrateur. Par le biais des confidences de l’ouvrier devenu infirme défileront les événements marquants de l’édification de la Suède.
Pourtant, Oskar parle peu. Les deux compagnons jouent plutôt aux cartes et vont à la pêche. Le visiteur tente de reconstituer ce que le dynamiteur ne dit pas. Il « doit assembler les pièces du puzzle pour restituer une unité grisâtre ». Leurs dialogues permettent de revisiter l’histoire de l’émancipation des ouvriers en Suède et des partis politiques qui s’y sont succédé. Oskar est convaincu que le socialisme est la seule issue ; vite déçu, il changera d’idée. « Il dit qu’on peut bien changer de parti une fois par an, si on croit que ça vaut la peine. »
Mankell l’humaniste aborde ici les thèmes qui lui seront toujours chers : la prise de conscience de la condition ouvrière, la révolte contre une société manipulée par l’argent et le pouvoir, l’espoir et l’échec du socialisme. Du style épuré et concis du Dynamiteur se dégagentdéjà les émotions fortes qui caractériseront l’écriture de Mankell. Pour les aficionados, un détour obligé.