Le lauréat du prix Goncourt 2017, écrivain et cinéaste, s’adonne avec bonheur à renouveler l’art de raconter.
Le livre est fort bref, mais chacun des mots du récit pèse de tout son poids. Le style Vuillard repose sur une acuité exacerbée du regard, notamment par la mise en lumière d’éléments, a priori secondaires, qui éclairent les événements de manière inédite et étonnamment révélatrice. On prend alors conscience du fait implacable de la participation du moindre détail à la totalité de l’événement, dont la connaissance est une image sans cesse remodelée.
L’ordre du jour (2017), qui a valu à son auteur le prix Goncourt, pointait sa lunette sur l’épisode nazi dans l’Allemagne du milieu du XXesiècle. La guerre des pauvres, qui a pour toile de fond les réformes religieuses en gestation à la fin du Moyen Âge en Europe, rappelle des faits historiques moins familiers de prime abord. Pourtant, Éric Vuillard a le don de nous les rendre palpables et de les inscrire dans une trajectoire qui est encore et toujours la nôtre. Les principaux personnages du récit sont des réformateurs dont l’existence est attestée. Ils ont en commun de remettre en question les dogmes allant à l’encontre de la science et, surtout, de critiquer les privilèges des puissants et les inégalités sociales. Sont évoqués entre autres les John Wyclif, John Ball et Wat Tyler, dont les noms sont associés à la révolte des paysans anglais de 1381. Autant Vuillard s’attarde parfois sur un moment infinitésimal, autant il peut télescoper une suite d’événements pour en exprimer la brutalité. C’est ainsi qu’il expédie la fin du prédicateur tchèque Jan Hus en 1415, après qu’on l’eut accusé d’hérésie : « Aussitôt, on le fait venir à Constance, et puis on l’emprisonne et on le juge et on le brûle ».
La guerre des pauvres fait référence à une série de soulèvements de paysans et de divers groupes de la population du Saint-Empire romain germanique aspirant à une plus grande liberté. Vuillard choisit comme principal protagoniste de son récit Thomas Müntzer, un des acteurs clés de ce conflit qui dure de 1524 à 1526. Il le dépeint comme un être totalement habité par la colère contre les despotes séculiers et religieux. Impossible dès lors de croire au reniement d’un Müntzer prisonnier cherchant à obtenir grâce : « Ces légendes scélérates ne viennent courber la tête des renégats qu’au moment où leur est retirée la parole ».
La révolte des laissés-pour-compte et des exploités est par définition pleine de surprises, souvent désorganisée, souvent aussi durement réprimée ; mais, même lorsqu’elle se conclut par une apparente défaite, elle peut exprimer une force en fin de compte irrépressible. Ce petit livre est avant tout un morceau de littérature, mais aussi une leçon d’histoire et de sciences sociales.