Prolifique professeur d’histoire littéraire et intellectuelle à l’Université Laval, Jonathan Livernois s’attaque avec son plus récent essai à un gros morceau de l’histoire politique du Québec. « Roi-nègre » au service des capitaux étrangers, petit potentat de l’Assemblée nationale, éteignoir initiateur de la Grande Noirceur, les épithètes accolées à Maurice Duplessis sont nombreuses, mais masquent trop souvent un fait important : si l’homme a officié autant de temps à la barre de la province, en maître chez lui bien calé dans le fauteuil du Salon vert, c’est qu’il a été élu en 1936, puis réélu à quatre reprises entre 1944 et 1956. Le traficotage des listes électorales par l’Union nationale ne suffit pas à expliquer cette popularité. C’est, il faut en convenir, que le duplessisme répondait aux besoins de la population.
L’une des raisons de ce succès populaire tient notamment, avance Livernois, à ce que Duplessis a réussi à opérer l’habile synthèse entre une vision linéaire du progrès, héritée du libéralisme économique, et le temps cyclique propre au monde traditionnel, conception attribuable à un certain conservatisme social. La révolution dans l’ordre tire son titre et son propos de cette double adhésion idéologique relevée par Jules Duchastel, Gilles Bourque et Jacques Beauchemin, lesquels accordent aux valeurs traditionnelles, à la stabilité sociale et à un sentiment crucial de permanence le rôle de socle rassurant à partir duquel Duplessis a pu développer l’économie d’ici, au grand profit d’ailleurs des intérêts américains.
Allant à l’encontre de ses recommandations – « On ne coupe pas la poire en deux, en histoire […]. Il faut prendre position » –, Livernois propose en réalité une histoire non partisane et assez consensuelle du duplessisme. C’est d’ailleurs là l’une de ses principales qualités : ni encenseur, ni dénigrant, l’essayiste prend finalement position pour une présentation nuancée de l’homme et de son règne. Afin de nourrir la discussion qu’il entretient constamment avec les auteurs qui l’ont précédé, l’historien utilise une documentation riche et variée, dont plusieurs journaux d’époque, des débats reconstitués de l’Assemblée législative ou des séries télévisées. En prime, sa plume alerte et bien taillée, plusieurs anecdotes savoureuses et une bonne dose d’humour rendent la lecture de cet ouvrage fort agréable.