Elle est poète et ses romans sont animés par sa capacité de créer des images, des couleurs, des tensions. Elle porte un nom qui la mène dans les territoires nordiques, sauvages. Une nature qui s’impose aux hommes et aux femmes, qui les sculpte, qui forge leurs destins.
Cette Isle aux abeilles noires, sise dans l’archipel des Hébrides intérieures, est le fruit de l’imaginaire de l’auteure, qui s’appuie sur la topographie et l’histoire de cette partie de l’Écosse. Trois nouvelles familles s’y installent durant la Seconde Guerre mondiale : une grecque, une danoise et une juive. Des familles et des passions : l’apiculture, la botanique et le verre. Et pour plusieurs d’entre elles, la musique. Les autres habitants de l’île seront à peine évoqués, si ce n’est une autre nouvelle arrivante, l’ornithologue Tilda Swallow.
Andrée Christensen s’attarde au destin de ses personnages, en particulier les trois filles du même âge des trois couples : Melyssia, fille du soleil, danseuse aux yeux vairons et « amie » des abeilles noires ; Anaïs, fille du vent, capable de transformer les fleurs et les herbes en des parfums uniques ; et Yselle, la fille de l’eau, porteuse du côté sombre de la vie.
À leurs côtés, des parents qui ont choisi de vivre sur cette île qui semble perdue au bout du monde. Hélios est apiculteur et fasciné par les abeilles noires, tandis que sa femme Calypso est une ancienne prostituée. Ils ont trois enfants : Melyssia, le bègue Lohengrin, amoureux éconduit d’Yselle, et Virgile, qui épouse Anaïs tout en étant éperdument amoureux de sa sœur Melyssia. Sunniva est botaniste et Lars Lauridsen, forgeron ; ils ont deux enfants, Anaïs et Théo, qui connaît le langage des animaux et qui communique mieux avec eux qu’avec les humains. Gaspard Lévi, verrier, sa femme Arielle, virtuose des ondes Martenot, instrument qu’elle a abandonné en fuyant la France occupée, maladivement attachée à leur fille Yselle, et Laurence, la mère de Gaspard. Et la musique : Hélios, violoniste, Gaspard, violoncelliste, et Lars, altiste.
Le récit se déroule sur une quarantaine d’années (peut-on supposer), baigné par les multiples drames qui ponctuent la vie des trois familles, et animé par une plume magique qui sait mettre en lumière les passions, les rêves, les conflits et les peurs des principaux personnages.
Car plus que l’intrigue, c’est le style qui donne à cet émouvant roman sa qualité. Des phrases comme celle-ci enveloppent l’univers qui nous est proposé : « Disparue la lumière pâle qui donne au paysage son air de douce laitance, la clarté dont on entend presque les murmures sur les feuilles et les pierres, sur le dos des chats et les ailes des papillons ». Le monde des abeilles est décrit de multiples façons, exprimant aussi bien l’admiration des personnages que celle de l’auteure pour ces remarquables ouvrières. Les plantes et les fleurs à la base des parfums d’Anaïs suscitent des descriptions qui appartiennent aussi bien à la poésie qu’à la prose. L’exploration de la danse par Melyssia donne lieu à des envolées presque lyriques qui expriment la fusion du mouvement et de l’âme de cette femme. Et enfin, il y a la musique, que Christensen réussit à traduire en mots et à nous faire voir.