Pour Ronald Léger, la poésie est une affaire sérieuse qu’on écrit en s’amusant pour surprendre et faire réfléchir. En exergue de ce livre, une citation de Rimbaud extraite des Illuminations : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ». Léger tend des « cordes » pour entraîner le lecteur dans son univers.
« Fribouler » est un néologisme, un peu comme le célèbre « schtroumpfer ». Le poème « Je friboule » offre une promenade dans le quotidien du poète, présentant des gestes, des attitudes, des émotions, des réflexions. « Je friboule / quand la richesse suce / le sable entre les dents / et entre les tombes ». Au lecteur de déduire l’intention. Demeure la liste anodine, mais porteuse d’une vie unique et pourtant familière.
Ce recueil posthume (Léger est décédé le 30 novembre 2013) est aussi le témoignage d’un regard critique, mais toujours ludique, sur le monde et plus particulièrement sur une jeunesse dans l’East End de Moncton que l’auteur évoque dans la suite « Fess Parker », du nom de cet acteur américain célèbre pour son interprétation de Davy Crockett et de Daniel Boone, qui inspirait les jeux des enfants du coin : « On s’amusait à jouer aux cowboys / pis aux Indians dans ça / des p’tites guerres / qui nous faisaient manquer notre diner / pis attraper une lickin ». Nostalgie d’une enfance des années 1950 dans un milieu où l’imaginaire tient lieu de jouet.
Plusieurs des poèmes rappellent un voyage en Europe. L’auteur en retient des images qu’il oppose à des listes. Ainsi à Courceulles-sur-Mer, où de nombreux soldats sont morts lors du débarquement du 6 juin 1944, créant « des plages en liberté », il oppose, dans les deux pages suivantes, « des rangées » constituées de mots tous précédés du privatif « dés » : « désabusé / désaccenturer / désacclimater / désaccord / désaccordé » ; on ne peut s’empêcher de penser aux croix alignées dans les immenses cimetières militaires de la région.
Aussi de « Voyage à l’est », lui qui vient de l’East End, longue suite énumérative de courts flashes comme autant de notes de voyage : « Café Doucet / service continu / Hôtel California / Saint-Germain ». Si dans cette suite la sécheresse des notes laisse place à une brume qu’il est difficile de percer, d’autres textes ouvrent la porte aux émotions : « C’est le moi » joue avec le « moi » et les mois de l’année.
D’autres laissent libre cours à la fantaisie de l’auteur : « Je suis le poète automatique / je navigue / entre les lettres / et les têtes / entre les idées / et la folie / entre la musique / et la poésie / entre la mort et la vie ».
Comme ce fut le cas pour ses trois précédents recueils, les poèmes de ce dernier livre sont empreints de son engagement social, de son humour, de sa passion pour l’Acadie et de ses craintes pour l’humanité. Une poésie simple et complexe à la fois qui fait appel au jaillissement (presque) spontané de l’image et du sens.