Patrick Émiroglou a produit un essai qui ne fait qu’une cent cinquantaine de pages de texte, mais dont l’écriture concise, voire dense, apporte son lot de connaissances nouvelles sur Jacques Godbout et son œuvre, augmenté d’une qualité analytique éclairante.L’opuscule emprunte son titre à Salut Galarneau !, le plus connu des romans de l’auteur visité, et procède selon une formule particulière, mais non inédite, précise l’essayiste en citant quelques exemples. Mis à part l’initiale « Lettre d’un lecteur » et les pages suivantes où Émiroglou expose « Ce que nous savons » de Godbout, Salut l’écrivain ! convoque neuf récits (huit romans et un conte) dont il fait d’abord une brève présentation avant de laisser la parole à l’un de leurs personnages. Il s’agit de la secrétaire dactylo Mireille dans D’amour, P.Q., du capitaliste William T. Shaheen Jr dans L’isle au dragon, de l’informaticienne Marie Lalonde dans Les têtes à Papineau, de Bellatchow Téklé-Francœur, qui vit en osmose avec ses parents, dans Une histoire américaine, puis de l’aventurier international Arthur Galarneau dans la « saga » Salut Galarneau ! et Le temps des Galarneau. Suivent Tafari, artiste-peintre et fils de Hailé Sélassié, dans Opération Rimbaud, « la fille aux petites fesses » dans le conte Mes petites fesses, et la concierge en titre dans La concierge du Panthéon, le dernier roman de Godbout. Pour ce qui est de LiIsle au dragon, « roman écologiste avant la lettre », Patrick Émiroglou fait intervenir au surplus un certain « Ernest H. », sous lequel il a bien reconnu, sans le dire nommément, l’écrivain Ernest Hemingway, présenté comme le mentor du héros Michel Beauparlant. Même le cheval des Galarneau, « Martyr », y va d’un long poème de 171 courts vers, variant du monosyllabe à l’hexasyllabe, parfois avec rimes réelles ou approximatives.Tous ces personnages entrent en scène en saluant Jacques Godbout à leur façon : « Salut l’Auteur ! », « Haut les cœurs, Jack ! », « Ô Créateur / Salut ! », « Salem farendj »…, puis expriment leurs espoirs (« Au fond, […] je ne veux que retrouver mes fils ! » ; « l’avenir du capitalisme, c’est l’écologie ! »), leur origine (« Comme d’habitude, tu as transposé, tu as aspiré la substance de la réalité pour l’inoculer dans la fiction »), leur gratitude (« je tiens à t’exprimer ma reconnaissance »)… « La fille aux petites fesses », elle, lui donne un message à transmettre (« Vous allez lui dire qu’il n’a rien à craindre »). Curieusement, les deux premiers romans de Jacques Godbout, L’aquarium et Le couteau sur la table, n’apparaissent pas dans ces tableaux binaires.Le ton humoristique l’emporte souvent volontiers sur la simple référence aux réalités évoquées, et là n’est pas le moindre intérêt de la plume de Patrick Émiroglou. On trouve dans son ouvrage de joyeuses associations de mots phonétiquement voisins : « une cantatrice castratrice », « ces doctes docteurs », « l’Émir ému », « Les cris / L’écrit / L’écrit dure / L’écriture ! »… En même temps on multiplie les expressions de la langue familière ou populaire : « Un coup parti, allons-y franchement », « Pauvreté mon cul », les « lobbies de crosseurs », « Tu t’es lâché lousse »… Affleurent de même les remarques railleuses ou dénonciatrices, concernant par exemple les « îles de plastique » où « se retrouvent pognés » les pingouins dans le Pacifique, « les cochonneries chimiques […] inventées » par « l’homme occidental civilisé », et la « dictature […] du Web » avec les « apôtres de l’Ère numérique » que sont Bill Gates, Mark Zuckerberg et Sergueï Brin.Dans sa « Lettre d’un lecteur », Patrick Émiroglou rend hommage à Jacques Godbout en soulignant son « rôle de réformiste », son « absolue liberté d’expression », son « style incisif soutenu par des formules », ses « personnages […] allumés et […] proches de nous », ses romans « vivants, vibrants, tous différents, chacun avec son idée et son rythme ».L’essayiste connaît bien de toute évidence le parcours biobibliographique de Jacques Godbout et accueille son œuvre avec un œil critique admiratif, qui n’a par ailleurs rien de condescendant et qui tient compte du contexte sociohistorique de l’époque.
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