Aujourd’hui en retrait du milieu littéraire québécois, André Major n’en a pas moins été un de ses représentants les plus engagés à une époque, pas si lointaine, où l’on rêvait d’un Québec qui fut à la fois indépendant, socialiste et laïque ; une époque où ce rêve semblait sinon à portée de main, ou de voix, à tout le moins imaginable avec ses avancées et ses reculs, ses défenseurs et ses pourfendeurs.
André Major et Pierre Vadeboncœur appartiennent aux premiers. Tous deux n’ont cessé, dans leur champ d’action respectif, de poursuivre le même objectif : affranchir le Québec et les Québécois de toute forme de servitude, autant celles d’ordre politique, religieux, linguistique que littéraire. Il n’est dès lors pas étonnant que leur chemin se soit un jour croisé malgré la différence d’âge et de génération, Vadeboncœur appartenant, si tant est que ce verbe puisse ici signifier quelque chose, à la génération de Cité libre, Major à celle de Parti pris. L’un et l’autre, pour des raisons somme toute analogues, quitteront ces lieux de parole où la leur, indissociable de l’action qu’ils voulaient mener, ne correspondait plus, disons, à une certaine politique éditoriale. Sans véritablement se substituer à de tels lieux de parole, la correspondance qu’ils entretiendront leur offrira un lieu d’échange et de réflexion sur des sujets qu’ils prenaient à cœur tout en confrontant leurs points de vue, leurs prises de position, voire leurs différends à l’occasion. Le ton, s’il demeure cordial, amical même, n’évite en rien les convictions de chacun. L’admiration mutuelle que se portent Major et Vadeboncœur se conjugue avant tout dans le respect de ces mêmes convictions et l’effort que chacun met à les inscrire dans l’action. Lorsque l’un cherche à convaincre, ce n’est pas sur la base de l’amitié, qui pourrait ou devrait tout faire accepter, mais sur celle d’arguments et d’idées que l’on souhaite partager non pas pour se prouver que l’on a raison, mais pour pousser plus loin la réflexion et ainsi faire preuve de raison.
Le titre choisi par Major, Nous retrouver à mi-chemin1, pour coiffer la correspondance, qui s’étend sur un peu plus de 30 ans, avec des périodes moins prolixes, évoque bien le désir de partage dans un esprit d’égalité et, oserais-je dire, de communion d’esprit que tous deux recherchaient. Il sous-entend non seulement le désir, mais l’effort de chacun d’aller à la rencontre de l’autre dans cet espace fraternel sans cesse enrichi au fil des ans où chacun se livre tel qu’il est, sans fard et sans esbroufe. « Peut-être pouvons-nous nous retrouver à mi-chemin, écrit Major, ou dans la tension qui demeure entre le monde et un moi qui n’est que l’ombre de lui-même quand le langage du monde lui manque. D’où l’avidité spirituelle qui est la tienne, la lecture si profondément personnelle à laquelle tu soumets la parole des autres. »
Cette correspondance n’a pas l’étendue ni la profondeur de celle qu’a entretenue Vadeboncœur avec Paul-Émile Roy, mais elle ne nous livre pas moins un portrait juste et vivant du Québec et de deux intellectuels cherchant à inscrire leurs actions dans la lente marche du Québec vers sa maturité politique et littéraire, à y participer et à en favoriser la venue. Les annexes qui suivent l’échange de lettres nous rappellent, si besoin est, le rôle joué par chacun à cet égard. Si ces textes nous font parfois sourire par le style engagé qu’on ne voit plus guère aujourd’hui, ne se profilent pas moins des aspirations toujours actuelles et légitimes. À force d’échanger des courriels avec la rapidité de l’éclair, de donner préséance aux réseaux sociaux sur de véritables projets collectifs, peut-être ne percevons-nous plus notre désespérante lenteur à devenir véritablement des êtres indépendants et libres, ce à quoi nous invite la présente correspondance.
1. André Major et Pierre Vadeboncœur, Nous retrouver à mi-chemin, Correspondance, Boréal, Montréal, 2016, 202 p. ; 22,95 $.