Il existe des lieux que l’on rencontre comme s’ils faisaient partie de nous. Déclaration d’amour infini pour la Basse-Côte-Nord et ses habitants, ce généreux livre de poèmes brosse le portrait d’espaces vastes où la poète trouve une partie d’elle-même et ouvre les bras grands vers l’autre.
Noémie Pomerleau-Cloutier s’est promenée, « ballotée d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre », jusqu’à ce qu’elle se pose sur les rives de la Côte-Nord, à presque douze ans. Dans La patience du lichen1, elle raconte sa fascination pour un lieu qui, bien qu’elle l’ait quitté depuis longtemps, reste profondément ancré en elle et où elle est retournée souvent. « Comment vit-on quand on voit large, quand on voit toujours plus loin devant soi, jusqu’à ne plus voir d’humains ? » La poète est dans une posture d’ouverture, de curiosité bienveillante, et elle donne envie de tendre la main en écho pour découvrir l’autre et l’ailleurs. De ses questionnements, une quête intérieure, personnelle, transparaît et fait contrepoids à l’étroitesse (des lieux, des esprits, du monde en général), à ce qui étouffe et garde captive. Son livre-voyage est une invitation à voir large.
La récolte
La route est longue, entre Kegaska et Blanc-Sablon, et Noémie Pomerleau-Cloutier prend son temps. Invitée chez les Coasters, elle écoute leurs histoires, en fait des poèmes en français, parsemés d’innu et d’anglais. Au fil de l’écriture, la poète raconte les pêcheurs de génération en génération, les marins, les grands-mères, les truckeuses, les amoureux, les enfants et les rêveurs qui peuplent ces territoires. Ils émeuvent par leur courage, leur humilité et la richesse de leurs récits : « peu de gens touchent l’immensité / derrière ce qui commence » La poète reconnaît la particularité du regard des gens de la Côte et cherche une part d’elle-même dans leur grandeur. À travers une narration alternée entre poèmes et textes en prose qui rappellent des entrées de journal, elle fait sentir l’amour dans les gestes du quotidien : « une plaque de cuisson remplie / est aussi une étreinte » et témoigne de sa gratitude pour les échanges, pour l’humanité et la nature : « je n’aurai jamais assez / d’une cascade de remerciements / pour ce qu’on m’offre / la plage anonyme / devenue mouillage scintillant ».
Il y a dans la démarche d’écriture profondément tournée vers l’autre de la poète quelque chose comme une faim dévorante : elle consigne tout, ne veut rien manquer ni des histoires dont les Coasters lui font cadeau ni du pays qui s’ouvre sous ses yeux. La Basse-Côte-Nord se déploie, brute et enveloppante, dans toute son étendue. Et plus le voyage avance, plus Noémie Pomerleau-Cloutier s’enracine : « Je me sens appartenir, par archipels ». Le caractère des Coasters, notamment celui des Innus, tout comme la force du groupe, l’importance de la communauté, l’esprit de la nature aussi belle que menaçante, tout cela trouve un écho vif chez la poète : « le dos ne courbe pas / quand le cœur tient la route ». Les poèmes rejoignent doucement la réalité, alors que le virus et la pandémie se pointent de façon naturelle à travers les récits. Pomerleau-Cloutier a un ton plus cru, quelque chose d’implacable dans la voix, alors qu’elle expose leurs conséquences sur la vie des Coasters.
Les nœuds
Un projet aussi ambitieux que La patience du lichen comporte sa part de risque. Ainsi, certains passages du livre se révèlent plus opaques, d’autres relèvent légèrement de l’évidence : « la réparation / se fait peut-être / un point à la fois ». L’harmonie de l’ensemble se brise un peu par endroits, alors que certains poèmes ressemblent davantage à des commentaires ou à des messages à passer : « si tu peux accomplir ça / pourquoi le gouvernement / n’arrive pas à ouvrir / une artère de bitume ».
Cela étant dit, la voix de la poète est si juste quand elle peint l’éloignement, le lien solide qui unit le territoire et ses habitants, le dur travail pour vivre, l’importance de la mémoire, de la transmission, le sublime, le sacrifice, l’injustice aussi, que c’est comme si elle portait ses lectrices, ses lecteurs, sur son épaule et qu’ils faisaient la route avec elle. Elle atteint pour moi un sommet d’émotion dans la suite « Aylmer Sound », village fermé en 2007, où l’on sent la douleur de l’arrachement à travers des mots tristes et poignants : « aucun coup de pagaie n’est assez fort / pour ramener ce qui est disparu ».
La forme hybride du livre, entre poèmes en vers et textes en prose, de type carnet, sert bien le projet, qui se déroule comme une respiration ample. Plus que sur l’épaule de la poète, c’est peut-être dans son cœur qu’elle convie celles et ceux qui la lisent. Même discrète, la présence de Pomerleau-Cloutier s’incarne dans le paysage, dans la puissance de ce qu’elle découvre comme dans ses humbles aveux d’ignorance face à la réalité de vie de l’autre, dans la rencontre de soi qu’apporte le voyage et dans l’empreinte déposée : « Je laisse une brise en guise de trace. Je n’ai jamais appris à maîtriser les nœuds ». Et c’est dans cet indomptable que la poète se déploie, se prolonge.
1. Noémie Pomerleau-Cloutier, La patience du lichen, La Peuplade, Chicoutimi, 2021, 248 p. ; 23,95 $.
EXTRAITS
je ne pourrai jamais / comprendre le poids exact / du déchirement du tissu
p. 56
je viens récolter / des histoires pour un livre
p. 69
Il y a la vie de tant de gens entre les métacarpes de la machinerie.
p. 107
Je ne comprendrai jamais la frontière entre le territoire et l’humain.
p. 123