Récits brefs, fragments de route, quête incessante. C’est La route innombrable, innombrable au sens littéraire de multiforme. Le titre évoque aussi bien les diverses voies qu’emprunte le personnage aux nombreux visages, que la forme même du texte qui, de dire le narrateur au moment du bilan, « fait peut-être un manteau d’Arlequin ». Une forte cohésion résulte de cette relation entre forme et contenu.
Multiforme, le texte, à vue d’œil déjà : deux types de caractère, l’un pour les récits consacrés au cavalier Docelan, et l’autre, l’italique, pour ceux qui se rapportent à Ivain, Lembors, Kay et les autres. L’inspiration des récits en italique semble puiser à la vie onirique et aux souvenirs d’enfance de l’auteur, la pluralité des personnages évoquant les diverses facettes d’une existence, alors que l’on atteint l’universel avec Docelan, représentant les « hommes de tous les âges ». L’absence de référence aux époques par l’emploi du présent intemporel atteste d’ailleurs l’universalité de la quête « de cet homme qui en a été plusieurs, et de tous ceux-là qui ont été le même ».
C’est que la visée de l’œuvre est d’ordre spirituel et fait appel à la contemplation et à l’interrogation. Aussi, le narrateur, tel un peintre, dispose-t-il d’une palette de mots d’une rare richesse qu’il agence pour donner à voir, dans une prose poétique, ce qu’il perçoit à travers les yeux des personnages, observateurs attentifs aux moindres nuances. Or ces tableaux recèlent une face voilée que confirme la dimension symbolique inscrite au cœur de l’œuvre. La route, innombrable comme l’existence, traverse des forêts inhospitalières, se poursuit dans des montagnes, longe des plages ensoleillées, se perd dans des villes inconnues. Docelan et les autres ne peuvent s’arrêter, n’étant jamais sûrs d’avoir atteint leur but. « C’est ici la fin de leur aventure visible mais qui peut dire qu’elle ne se poursuit pas en un autre lieu, en un autre temps ? » Roland Bourneuf ne convie pas son lecteur au pays de la certitude tranquille, mais sur les chemins de l’interrogation et du doute incessants, compagnons obligés d’une quête de sens véritable.